Elections présidentielles en Algérie . Le plan ‘’B’’ deviendra-t-il la solution ‘’A’’ ?
Bouteflika ou ceux qui utilisent son image sont allés jusqu’au bout. Ils ont déposé la candidature du président sortant pour un cinquième mandat consécutif. Ni les gesticulations d’une opposition dépassée par les événements, et qui a préféré le boycott à la lutte, ni le mouvement des foules qui rappelle un certain ‘’Printemps arabe’’, n’ont dissuadé le régime de se maintenir dans sa position initiale : faire briguer au président un 5ème mandat.
Panne d’alternatives
Pourtant, aucun esprit raisonnable et raisonnant ne miserait sur une personne affaiblie par la maladie, au point de ne pouvoir déposer, par elle-même, son dossier de candidature, comme le prévoit la constitution. Pire, cela fait presque six ans que le président est sans voix. Durant tout un mandat, le président algérien ne s’est jamais adressé à ses concitoyens. Durant ces six ans - chose très étonnante- le régime n’a pas pu trouver une alternative !!! Il ne fallait pas être extra lucide en 2014 pour deviner qu’en 2019, il serait très difficile d’imposer, à un peuple, un président au sommet de l’impotence. Mais alors pourquoi n’ont-ils rien trouvé ? Une personnalité algérienne avait dit un jour que l’Algérie n’a pas de mécanisme institutionnel d’alternance à la haute magistrature de l’Etat, mais le système s’en sort toujours, d’une manière ou d’une autre. A croire cette personnalité, le système s’en sortira encore cette fois. Opposition ou pas, colère populaire ou pas ; le régime s’en sortira. Mais alors comment ?
Il est possible que toute la période du mandat écoulé a dû être dépensée dans des luttes internes entre les cercles du pouvoir. Mais, ces différents cercles étaient certainement conscients que 2019 arriverait et que sans compromis, ils risqueraient de perdre au profit d’un inconnu, voire de l’inconnu ! Toutes ces personnes, restées au pouvoir, pour certaines, « éloignées ou limogées », pour d’autres, savaient pertinemment qu’elles ne pouvaient pas compter sur une candidature de Bouteflika en 2019. Son clan se crispait, certes, au fauteuil de président, mais savait également que cette crispation ne pouvait servir que de monnaie d’échange afin d’obtenir des garanties de privilèges et d’immunités par la future présidence. Le clan opposé à Bouteflika, toujours dans le même cercle, devait leur offrir une sortie « étudiée » et leur garantir, sinon la continuité de leurs privilèges, du moins l’immunité contre toute poursuite pour les actions passées.
Aujourd’hui, Bouteflika s’est présenté aux élections ; mais il est gravement malade. Il est hospitalisé à Genève et il quittera l’hôpital sur un véhicule, peut-être plus horizontal, qu’un fauteuil roulant. Que doit-on faire si Bouteflika décède à Genève ? Qu’arrivera-t-il, si la candidature de Bouteflika est retirée pour maladie grave ; sous la pression de la rue, ou, même si j’en doute, par invalidation de sa candidature par le Conseil constitutionnel ? Peut-on annuler les élections ? La raison et le droit disent que non. Peut-on les reporter ? Quand est-ce qu’on a reporté une élection pour cause de retrait, volontaire ou obligé, d’un candidat ? Les élections se feront, ou du moins doivent se faire, avec ou sans Bouteflika. Vingt candidats ont déposé leurs dossiers au Conseil constitutionnel. Qui sur les vingt candidats, en cas de défection de Bouteflika, de bon gré ou forcée, pourrait faire l’unanimité entre le peuple qui est dans la rue ; la technostructure, la nomenklatura du pouvoir, les militaires, retraités et en fonction, l’opposition et tout le beau monde impliqué dans la situation actuelle ? Lisez, relisez autant de fois que vous le voulez la liste des candidats et vous ne trouverez qu’un seul nom capable de se faire admettre par tous, de faire le jeu de tous : Ali Ghediri, l’ancien général. Le retrait d Abderrezak Makri et de Ali Benflis a ouvert un boulevard devant l’ancien général en cas de forfait de Bouteflika. Pour l’empêcher de passer, il faut annuler les élections ou les reporter. Sinon faire réélire le président mourant par la force, quitte à réprimer la rue.
En dépit du ton menaçant de Gaïd Salah, il est fort improbable que l’armée intervienne pour réprimer le mouvement populaire, le faire taire, ou lui imposer un nouveau mandat de Bouteflika.
Ali Ghediri, le plan ‘’B’’ du régime ?
Reste à savoir si la candidature du général Ghediri est spontanée, ou si l’homme a été préparé pour ses futures fonctions. Il avait quitté, ou on lui avait fait quitter, l’armée en 2015, quelques mois après le début du quatrième mandat de Bouteflika. Il est allé préparer une thèse de Doctorat à l’Université d’Alger et devient, comme il aime le confirmer, un citoyen civil, en ne cessant de répéter que, contrairement à plusieurs de ses pairs-anciens militaires, il ne vit que de sa pension. Si c’est vrai, je ne veux pas en douter, qui va financer sa campagne ? On connait les liens étroits du général Ghediri avec Isaad Rebrab, le richissime homme d’affaires algérien, même s’il refuse d’en parler. Rebrab n’est pas dans le cercle des grands sympathisants du régime, mais ira-t-il jusqu’à le défier, en sponsorisant un candidat dont le régime n’en veut pas ? Il ne faut pas oublier, qu’Isaad Rebrab a prospéré sous le règne de Bouteflika. Ce dernier n’a pas touché aux monopoles sur les importations de produits de grande consommation dont bénéficiait Rebrab dès le début des années 19901 . Si Rebrab soutient et sponsorise Ali Ghediri, ce n’est sûrement pas sans une ‘’bénédiction’’ de qui de droit.
Plusieurs médias racontent une guerre déclarée entre Ali Ghediri et Gaïd Salah, accusant ce dernier de tout faire pour dynamiter la candidature du premier. Cependant, en fouillant dans les détails on s’arrêterait sur cette phrase prononcée par Ali Ghediri en janvier de cette année : "D’après ce qui s’écrit et se dit, certains demandent un report de la présidentielle, d’autres, la continuité. Tous les schémas anticonstitutionnels sont mis sur la table. Connaissant de près le général de Corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, je me défends de croire qu’il puisse avaliser la démarche d’aventuriers. (...) Je reste convaincu que le général Gaïd Salah ne permettra à qui que ce soit de violer la Constitution d’une manière aussi outrageuse." Ali Ghediri connait, donc, Gaïd Salah de près, et il lui fait confiance quant au respect de la Constitution. De là à comprendre pourquoi la candidature d’Ali Ghediri est tolérée par Gaïd Salah il n’y a qu’un pas facile à franchir.
Le système algérien a anticipé les difficultés que constitue la transition entre les 20 années de Bouteflika et un régime nouveau à imaginer, et a, donc, dès 2015, entamé le stratagème qui permettrait de présenter au peuple une sorte de candidat ‘’rebelle’’ et antisystème ; mais qui, en même temps, garantirait à la noblesse du régime la continuité de ses privilèges et immunités, et permettrait à la junte militaire de rester au pouvoir.
J’oserais, donc, tenter l’hypothèse que Bouteflika n’ira pas jusqu’au bout de sa candidature et le chemin restera libre devant Ali Ghediri pour donner l’impression d’une révolution qui, en réalité, s’apparente plus à un tir à blanc, qu’à un réel changement. Ali Ghediri, fut un plan ‘B’ ; mais il est en voie de devenir la solution ‘A’.
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