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Le conflit du Sahara: vers un nouveau capital de légitimité juridique fondé sur l’équité

Rachid El Houdaigui | May 25, 2018

Peut-on raisonnablement penser le conflit du Sahara sans tenir compte d’une part des correspondances entre facteurs juridiques et extra-juridiques, et d’autre part du jeu entre les acteurs concernés ? Pour notre Senior Fellow Rachid Houdaigui, si ce sujet impose, par sa complexité, la prise en compte des règles du droit international, qu’il convient aussi de préciser, il nécessite également la prise en considération des aspects d’ordre géopolitique, sécuritaire et anthropologique.

Le conflit du Sahara comme objet de recherche est un sujet complexe: sa complexité se mesure au degré des facteurs intervenants (droit international, géopolitique, économique, politique, anthropologique), au nombre d’acteurs impliqués (Maroc, Algérie, Front Polisario, Mauritanie), ainsi qu’au poids des puissances concernées (Espagne, France, Etats-Unis d’Amérique) et à la dynamique géopolitique de la région (tension maroco-algérienne, menace  asymétrique Sahélo-saharienne). Autant dire que l’analyse du conflit ne doit pas faire l’économie de la correspondance qui existe entre facteurs juridiques et extra-juridiques d’une part, et le jeu des acteurs impliqués et concernés, d’autre part. 

Dans cet imbroglio, le droit international devient une structure argumentative permettant aux acteurs en jeu  de participer à la production du discours juridique sur la question du Sahara. La scène onusienne a vu naître un capital de légitimité juridique aboutissant successivement au cessez-le-feu, en 1991,  au référendum, prévu en 1992, mais constamment reporté, aux plans de règlement inapplicables de Baker I (2000) et Baker II (2003) et aux négociations informelles  sans issue. Ce capital de légitimité se trouve dans une situation de crise d’efficacité, voire d’existence, tant il est vrai que la durabilité du différend  dénote de la défaillance  de l’approche formelle (ou approche par la règle) du droit international, ou son inadaptation à la puissante singularité de la question du Sahara.

Le Conseil de sécurité, qui s'est réuni le 27 avril 2018, a demandé à l'Envoyé personnel du Secrétaire général de l'ONU pour le Sahara, Horst Köhler, de poursuivre les discussions sur une relance de négociations entre les parties. De ce fait, l’ONU ne court-elle pas le risque de reproduire les conditions de la continuité du conflit? A partir de quel stade la communauté internationale peut-elle appeler à une démarche juridique alternative à celle  jugée insuffisante ou inefficace ? 

L’hypothèse défendue dans cet article est que l’approche formelle du droit ne peut être efficace que si elle intègre dans son schéma de pensée juridique, les apports de l’école critique du droit international qui insiste sur la mise en correspondance de la règle avec la réalité sociale internationale et, en particulier, avec les paradoxes qui la caractérisent. Dès lors, l’explication du principe de l’autodétermination externe, quand bien même universel, ne doit pas se limiter  à l’interprétation des sources formelles, mais  doit prendre  en compte l’évolution du contexte pour expliquer son sens et son utilisation. 

Le fil conducteur de cet article  est que la solution durable et équitable demeure tributaire de la capacité du Conseil de sécurité à surmonter les difficultés, à travers une neutralité positive qui reconnaît la nécessité de redéfinir le capital de légitimité juridique dans le cadre global du droit international public (I) et  autour de trois éléments complémentaires : rupture avec la logique du « the Winner takes all » (II) ; utilité de l’équité comme mode de règlement non-juridictionnel du différend compte tenu, d’une part, de l’ineffectivité de l’autodétermination externe et , d’autre part, du  poids des facteurs extra-juridiques (III) ; la pertinence de l’équité comme principe juridique de référence pour encadrer la résolution du conflit, à travers l’autonomie comme expression d’une autodétermination équitable (IV). 
 
I. Le droit international public entre formalisme juridique et effectivité sociale 

Derrière tout différend territorial international se dessine un débat théorique, mettant en opposition généralement deux approches du droit international, l’approche dite critique et l’approche formaliste. Une ligne de démarcation s’installe dès lors entre l’argumentaire des parties au conflit ; certains s’inscriraient dans la logique dialectique et évolutive du droit international, proche de l’école critique, alors que les autres resteraient foncièrement fidèles au formalisme juridique classique. 

Le formalisme juridique classique

Il met l’accent sur la force normative du droit et sur sa capacité formelle de s’opposer et de se hisser au-dessus des politiques étatiques. Il refuse de prendre en compte des facteurs extérieurs au droit international positif existant, qu’il s’agisse du cadre cognitif (approches philosophiques du droit) ou de faits (approches sociologiques, politologiques, économiques ou psychologiques du droit). Dans ce sens, la tâche du juriste, chercheur ou fonctionnaire,  devrait plus porter sur l’explication de « [l]’ordre juridique positif, notamment en interprétant les règles juridiques existantes, et en mettant en évidence les relations logiques existant entre ces règles » . Le juriste n’est, par contre, pas porté à émettre un jugement de valeur sur la légitimité, le rôle ou les fonctions du droit positif dans la société internationale. Dans une optique formaliste, la définition de l’agression ou du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes se trouve dans l’interprétation des sources formelles, telles que la Charte de l’ONU, les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies et, le cas échéant, toutes autres sources formelles. Le juriste se trouve, donc, obligé de se cantonner aux textes et se voit refuser la prise en compte du contexte et la mise en correspondance avec les facteurs extra-juridiques. Il s’agit, donc, d’une approche plus encline à la description des règles existantes qu’à leur remise en cause ou à l’élaboration de nouvelles. La norme juridique existante est entretenue, non seulement pour garantir sa pérennité, mais également pour affirmer sa supériorité à la volonté des Etats.  Toujours est-il que certaines variantes du formalisme admettent le caractère évolutif du droit international, moyennant la prise en compte d’une pratique répétée, dans le cas de la coutume, ou d’une révision de la convention concernée, dans le domaine du régime international des traités. 

L’école critique dynamique

L’école critique conçoit, quant à elle, le droit international de manière dynamique dans le cadre d’un processus de production, d’application et d’évolution de la norme. Elle est aux antipodes du formalisme, tant par sa conception de l’idée de « communauté internationale », du poids de la règle juridique et de la volonté des Etats que par son approche de la finalité du droit international. L’institutionnalisation des relations internationales a permis l'émergence d'une diplomatie multilatérale au nom de la communauté internationale. Cependant, la prépondérance des États et les conflits d'intérêts empêchent l'émergence d'une communauté internationale véritablement intégrée. Ce paradoxe provoque, selon l’approche critique, une déviation de l’idée de communauté pluraliste dans le sens d’une logique politique tendant à légitimer l’action diplomatique ou militaire des grandes puissances . Derrière l’apparence d’universalité se cacherait, donc, une pratique unilatéraliste hégémonique, dangereuse pour l’ensemble de la société internationale. L’action, la non-action et l’inaction sont les versions de cette tendance qui a atteint une dimension sans pareil avec l’invasion américaine de l’Afghanistan et de l’Irak. Dans le registre de la non-action, le manque de volonté de la communauté internationale dans la gestion du conflit israélo-palestinien est symptomatique de l’absence d’initiatives universelles équitables à même de rendre justice aux Palestiniens. La longévité du conflit du Sahara, quant à elle, revient à le répertorier dans le schéma de l’indécision de la communauté internationale face à un conflit qui doit être appréhendé dans sa globalité et sa multi-dimensionnalité. Le statu quo semble guider le choix stratégique des membres du Conseil de sécurité, alors même que  la proposition marocaine d’Autonomie introduit un élément nouveau et pertinent  dans le processus de résolution de ce conflit.

A l’instar du formalisme juridique, l’école critique reconnaît la primauté de la règle juridique comme base des sources formelles du droit international. Mais, elle insiste sur la mise en correspondance de cette règle avec la réalité sociale internationale et, en particulier, avec les paradoxes qui la caractérisent. Autrement dit, ce courant s’intéresse aux rapports de force qui président à la création d’une norme juridique, comme à ceux qui dictent l’ interprétation de celle-ci. Dès lors, l’explication d’un principe juridique, quand bien même universel, ne doit pas se limiter  à l’interprétation des sources formelles, mais  doit prendre  en compte l’évolution du contexte pour expliquer son sens et son utilisation,  souvent sélective par les Etats. Dans la foulée, le droit international est envisagé en termes de finalité sociale, dans la mesure où sa juridicité et sa force obligatoire découlent davantage de sa capacité à faire avancer les buts sociaux . La validité normative formelle n’est pas pour autant niée, mais  se trouve reléguée au deuxième rang au nom de l’efficacité. 

II. Effectivité sociale de la règle ou comment rompre avec la logique du  « The winner takes all »  

La longévité du conflit du Sahara pose la problématique théorique de l’anachronisme de certaines règles du droit positif et de leurs limites pratiques. A quoi sert le droit international , sinon à libérer la société internationale du risque et des menaces. Le désir de vivre en paix trouve une réponse institutionnelle dans la Charte des Nations Unies, le nombre considérable d’accords multilatéraux et la dynamique des Organisations internationales. Toujours est-il que cette finalité ne pourra pas être accomplie, tant que l’effectivité de la norme juridique est tributaire de la volonté des Etats et du jeu qui s’opère au sein du Conseil de sécurité ou dans les autres organes des Nations Unies. Un face-à-face se dessine dès lors,entre, d’une part, le principal acteur de la production politique internationale, l’Etat, et, d’autre part, la norme juridique universelle et autonome. L’Etat est la source par excellence du droit international, mais il continue paradoxalement à concevoir les relations internationales en termes de rapport de force qui, à titre d’exemple, font que les Etats-Unis d’Amérique n’accepteront jamais qu’un de leurs responsables soit  traduit devant une juridiction pénale internationale. Convient-il, à cet effet, de partager avec James Brierly l’idée selon laquelle « le droit international essaie de faire et de définir ou de délimiter les différentes sphères au sein desquelles chaque Etat, qui divise le monde pour des objectifs politiques, peut exercer son autorité » . Cela ne veut pas dire , pour autant, que la norme juridique universelle est dénuée d’importance. Les règles de jus cogens, par exemple, sont liées à la conscience universelle, et inhérentes à l'existence d’une société internationale civilisée. Ce qui leur donne un caractère impératif auquel il n’est pas sans conséquence d’y déroger.                              

Ce paradoxe génère une situation de fait, où le droit international correspond davantage à une « pratique sociale argumentative » qu’à une structure normative, indépendante des Etats. Dès lors, la résolution d’une crise internationale ne relève pas uniquement du langage formel du droit de règlement des différends. Elle appartient, également, au contexte politique qui, souvent, façonne la trajectoire de la solution définitive. Un argument juridique crédible prendrait nécessairement en compte la légitimité et l’effectivité ; la règle et le fait dans son raisonnement, de telle sorte que les critères juridiques et le contexte factuel s’entremêlent dans une perspective de bon sens. Richard Falk indique, à ce titre, que le rôle de la doctrine contemporaine est d’adopter une démarche «.. [I]ntermédiaire, celle qui maintient le signe distinctif de l’ordre juridique tout en pouvant répondre au cadre extra-juridique de la politique, de l’histoire et de la moralité » .

La démarche théorique de cet article s’organise autour d’une approche générale du droit international qui met en relation la règle de droit avec la réalité sociale. En ce sens, elle prend en compte les phénomènes politiques et sociaux pour appréhender le droit international public. Nous approchons le droit international et sa dynamique à travers trois éléments d’analyse intégrés : le droit international est fondé sur la volonté des Etats ; les rapports de forces qui président à la création de la règle de droit et à son interprétation par la suite ; la finalité sociale du droit. Le droit international serait un ordre juridique de type contractuel, où il est exclu d’opposer à un Etat une règle qu’il ne  pourrait et/ou ne voudrait pas accepter. De même que la règle, tant dans le processus de sa création que dans son interprétation, donne lieu à des appréciations et des interprétations contradictoires qui se poursuivent même après son adoption. Et parallèlement, la juridicité de la règle de droit s’affirme à travers son efficacité et sa capacité à faire avancer les buts sociaux, sans nier l’importance de sa force normative.  

Transposée au conflit du Sahara, cette construction théorique soulève un certain nombre de questions heuristiques: Le constat de l’ineffectivité sociale de la démarche juridique classique poursuivie dans la gestion du conflit du Sahara suffit-il pour justifier l’adoption d’une nouvelle démarche alternative légitime? A partir de quel stade, la communauté internationale peut-elle appeler à une démarche juridique alternative à celle  jugée insuffisante ou inefficace ? Dans la mesure où le conflit du Sahara est soumis aux principes du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de l’autodétermination, l’échec de l’organisation du référendum ne vide -t-il pas ces deux principes de leur juridicité ? 

Le constat est que le droit et la politique sont les deux versants du différend saharien. Ils interfèrent  et se croisent, tant et si bien qu’il est impossible d’entrevoir une solution uniquement juridique ou une réponse exclusivement politique. Dans le premier scénario, le  référendum est basé sur la logique du « The winner takes all », quant au second, le fait accompli politique serait  tout simplement dénué de toute idée d’équité. Ce constat reflète une lecture inclusive du conflit qui lie étroitement les exigences du droit international aux nécessités politique, sociale et géopolitique. Il n’est cependant pas question de diluer la force obligatoire du droit dans les faits sociaux mais plutôt de reconnaître avec Martti Koskennieni qu’un système international  fondé sur la primauté du droit cache le fait que tout conflit social doit être résolu par des moyens politiques . 

Dès lors, le conflit du Sahara  mérite une appréciation singulière fondée sur des alternatives ancrées dans la pratique juridique internationale. A ce titre, le principe de l’équité semble le plus efficace comme mode de règlement de la question du Sahara dans la mesure où il est reconnu par le droit  international « comme une application, pour la solution d’un litige donné, des principes de la justice, afin de combler aux lacunes du droit positif ou d’en corriger l’application lorsqu’elle serait trop rigoureuse ». 

III. L’équité, un mode alternatif pertinent pour un compromis  durable

L’évolution de l’équité est marquée par trois orientations concomitantes : Un ancrage au droit international à travers la pratique des Etats et des institutions internationales, la jurisprudence et la doctrine ; une identité forgée dans le règlement juridictionnel des différends, particulièrement dans la délimitation maritime ; des perspectives larges dans le règlement non juridictionnel des différends politiques 

La jurisprudence internationale dote l’équité du droit international de deux éléments principaux.  Il s’agit, d’une part, de la justice qui constitue le fondement juridique général de l’équité et, d’autre part, de l’élément « des circonstances pertinentes de l’espèce » comme fondement juridique particulier de l’équité. Toute solution, juridictionnelle ou non juridictionnelle, d’un différend, basée sur l’équité devrait mettre en correspondance ces deux éléments. Les circonstances pertinentes consistent en des facteurs (géographiques, historiques, politiques, géopolitiques....) susceptibles de rendre inéquitable la résolution du différend (de la question) si elles ne sont pas prises en compte. Autrement dit, elles constituent des caractéristiques qui, dans l'hypothèse où elles sont ignorées, donneraient un résultat inéquitable ne servant l’intérêt d'aucune des parties au conflit .

Le recours à l’équité n’affaiblit en aucun cas le droit. Elle le renforce. Car, comme l’a bien précisé le juge Arrechaga: "l'équité n'est ... rien d'autre que le fait de tenir compte de tout un ensemble de circonstances historiques et géographiques dont l'intervention n'affaiblit pas la justice, mais au contraire l'enrichit."  Il est, donc, presque impossible d’aboutir à une solution équitable en méconnaissant les circonstances propres à la région." 

Faut-il souligner que l’équité est un principe juridictionnel dès lors que le règlement des différends -particulièrement en matière de délimitation maritime- occupe la place majeure dans son utilisation. Or, la problématique de cet article se situe justement dans le registre de la résolution non-juridictionnelle des différends (politique, diplomatie), c’est-à-dire par voie diplomatique.

Toujours est-il que l’examen de la jurisprudence, et même de la doctrine relative à l’utilisation de l’équité, permet de déceler des éléments transposables au cas d’espèce de notre étude. Aussi, convient-il au préalable de faire un éclairage sur la portée de l’équité dans le règlement des différends par des voies politiques : négociations directes, règlement par l’intervention des tiers ? Quelle que soit la nature de la négociation, bilatérale ou sous l’égide d’une organisation, les parties plaident sur la base du droit international. Cependant, il est courant que l’équité, les rapports de force, voire l’opportunité, surgissent dans le jeu des acteurs, injectant, par voie de conséquence, une dose horizontale au cadre référentiel de la négociation. Dès lors, le centre de gravité de la négociation glissera du droit international, mais sans s’en détacher, vers un champ où viennent s’entremêler des considérations d’ordre stratégique, politique, économique (..). L’équité a toute sa place dans cette configuration, tant pour son raisonnement que pour sa persuasion. Elle favorise le développement de l’idéal de justice dans un monde où l’obligation générale du règlement des différends par les voies judiciaires ne s’impose pas encore. La globalisation génère de nouveaux litiges qui ouvrent davantage la voie au recours à l’équité.  La Charte des Nations-Unies adopte l’équité d’une manière souple. Dans son article 1er, elle invite ses membres à « maintenir la paix et la sécurité internationale » et cela «conformément aux principes de la justice et du droit international». Faut-il, cependant, souligner que l’article 33 du Chapitre VI de la Charte exclut de son domaine les différends qui ne sont pas susceptibles de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationale. D’autre part, lorsque le Conseil de sécurité est saisi d’un différend, la question de la base sur laquelle ce différend doit être réglé se pose de manière récurrente. V.D. DEGAN se demande, à juste titre, si le Conseil de sécurité est obligé de baser ses délibérations sur le droit international exclusivement, ainsi que la cour internationale de Justice, ou s’il y a d’autres facteurs qui peuvent entrer dans sa décision, par exemple l’équité ou l’équilibre des forces . Il semblerait que la pratique tende à une prise en compte globale de l’ensemble des aspects juridiques et extra-juridiques du litige qui pourraient être appréciés au bénéfice d’une sortie de crise équitable. Le but de la négociation étant la réalisation d’un accord, les Parties ont l’obligation de se comporter de telle manière que la négociation ait un sens et que, compte tenu de toutes les circonstances, des principes équitables soient appliqués. Dans l’affaire du Sahara, par exemple, les résolutions du Conseil de sécurité donnent lieu à un discours qui se situe entre deux lignes de base ; d’une part, l’autodétermination comme règle de droit et, d’autre part, l’obligation d’un résultat juste, durable et mutuellement acceptable inhérent aux faits extra-juridiques.

IV. De la pertinence de l’équité dans le règlement du conflit du Sahara  

L’équité a toute son amplitude dans l’affaire du Sahara. Ses deux éléments constitutifs ; la justice et son corollaire l’égalité des parties, et les circonstances pertinentes du conflit se manifestent dans l’affaire du Sahara à travers deux catégories d’éléments fondamentaux : 1)  les limites pratiques de l’autodétermination externe et son ineffectivité sociale dans le cas, en raison de la puissance de singularisation considérable  du conflit ; 2) de la conformité du Projet Marocain d’Autonomie (PMA) aux exigences et valeurs de l’équité.

Les limites pratiques de l’autodétermination externe du Sahara 

Le point d’achoppement principal du règlement de ce différend est la difficulté d’organiser  le référendum. Le rapport du Secrétaire général des Nations Unies, du 12 juillet 2000, a identifié des difficultés inhérentes : à l’identification des personnes non encore auditionnées par la MINURSO; au déroulement de la procédure des recours ; au rétablissement dans leur droit de participer au référendum de 7000 postulants marocains déclarés admis et retirés par la suite de la liste provisoire des votants; à la mise en œuvre des résultats du référendum; à l’application du code de conduite à respecter pendant la campagne référendaire; à l’exigence de concordance des témoignages des Chioukhs (Chef des tribus) représentant le Maroc et le Polisario;  à la marginalisation du témoignage oral comme moyen de preuve alors même que le Plan de règlement le met sur un pied d’égalité avec les documents espagnols aux fins de l’identification et des recours, au rapatriement des réfugiés . 

A l’origine de l’échec de l’organisation du référendum se trouvent, donc, les divergences entre le Maroc et le Front Polisario sur la composition du corps électoral. Le plan de règlement de 1990 fixe le recensement effectué par les Espagnols, en 1974, dénombrant presque 74000 personnes comme base à l’élaboration des listes électorales. Si le Front Polisario a accepté l’idée, c’est parce qu’il considère ce recensement comme déterminant de l’identité sahraouie. Le Maroc, par contre, refuse d’accepter ce corps électoral et demande d’inclure les Sahraouis qui, depuis les années 50, avaient, pour des motifs divers, émigré vers le nord du Maroc ou vers la Mauritanie. La difficulté, voire l’impossibilité, de déterminer ce qu’est un Sahraoui et ce qu’est le « peuple sahraoui »  est le facteur de blocage du processus d’identification des électeurs.      

Cette réalité pose une question profonde de la compatibilité, ou non, de certaines normes universelles au cas d’espèce qu’est le Sahara. Les critères fixés pour l’organisation du référendum sont incompatibles avec la réalité anthropologique de la population nomade sahraouie. Et même en cas de tenue du référendum, rien n’indique que son issue pourrait pacifier la région. Il y aura toujours un perdant qui contestera les résultats et la légitimité du vainqueur. D’autant plus, comme l’a bien précisé W. Zartman, un référendum « n’indique ni la fin ni l’atténuation d’un conflit, mais simplement son transfert à un autre mode de résolution» .  La logique du « the winner takes all » n’est donc pas appropriée.

La reconnaissance de la qualité de peuple aux Sahraouis est un autre paradoxe du droit international. Théoriquement, la notion peuple n’est encadrée par aucune définition doctrinale consensuelle ni par une définition normative originale des Nations Unies. Ce « mot caméléon » dont parle Edmond Jouve  fait partie du type de concepts qui résistent « à toute définition universellement valable » . Son contour s’est consolidé au fur et à mesure de son application pendant la période de décolonisation, ce qui en fait une notion juridique essentiellement territorialisée et variable au cas d’espèce.  Dans le cas du Sahara, la population est organisée dans des structures tribales ancestrales nomades et autonomes, que le colonisateur espagnol a tenté sans succès d’encadrer. Les tribus nomades ont toujours été réfractaires à une autorité centrale et ne se sont jamais constituées en entité homogène précoloniale . Ceci explique, en partie, leur préférence d’être liées au Sultan du Maroc par un acte non contraignant comme l’allégeance. D’ailleurs, ce particularisme anthropologique des Sahraouis se matérialise avec force lors du processus d’identification des personnes habilitées à participer au referendum. Le déroulement des témoignages oraux, par exemple, a été très délicat en raison de la mobilité en permanence des populations. Dans son rapport du 19 septembre 1991, le Secrétaire général des Nations Unies, Pérez de Cuellar constate : «  du fait de leur caractère nomadique, les populations du Territoire traversent facilement les frontières pour se rendre dans les pays voisins, où elles sont accueillies par des membres de leurs tribus ou même de leurs familles. Ce flux et reflux des populations au niveau des frontières du territoire rendent difficile  le recensement complet des habitants du Sahara espagnol, et pose également le problème délicat de l’identification des Sahraouis du Territoire et, au-delà, un recensement satisfaisant des réfugiés » .

Le principe de l’équité a le mérite d’accorder une place importante aux éléments extra juridiques dans l’appréciation de l’objet de litige. Dans l’affaire du Sahara nous avons bien précisé que le problème est couvert par les principes juridiques, mais des éléments extra juridiques : géopolitiques, sécuritaires et anthropologiques  interfèrent si bien qu’ils doivent être pris comme point central dans tout processus de résolution de ce conflit au même titre que la règle juridique internationale. Si les deux premiers sont visibles et présents dans le discours diplomatique de la communauté internationale, le troisième semble être ignoré et inexploré alors même qu’il matérialise les tendances profondes de la population du Sahara. La complexité des situations générées de 41 ans de conflit au Sahara se mesure ici à la centralité du facteur anthropologique. Aujourd’hui, l’organisation sociale sahraouie est transcendée par les effets du conflit, entrainant une configuration sociologique complexe. Dans un premier temps, les clivages sont désormais infra-tribaux  et opposent les indépendantistes aux unionistes, et, depuis le Projet Marocain d’Autonomie, une troisième voie autonomiste se manifeste. Des clivages apparaissent, également, entre les membres d’une même famille, en raison des positions politiques opposées. Ces lignes de fracture interfamiliale contrastent avec la consolidation du lien social entre Sahraouis vivant au Sahara et le reste de la population marocaine ; Mohamed Cherkaoui atteste dans son étude « lien sociaux et enjeux géostratégiques » que ces liens excitent et forment  un tissu social homogène et dense grâce, notamment, à l’institution du mariage. Cela nous amène à rappeler nos interrogations introductives de cette étude : la compatibilité ou non de certaines normes universelles au cas d’espèce qu’est le Sahara ? Les critères fixés pour l’organisation du référendum au début des années 90 sont-ils  compatibles avec la réalité sociologique contemporaine des Sahraouis ?

L’autonomie comme expression d’une autodétermination équitable 

L’autonomie élargie demeure, à notre sens, la voie raisonnable et équitable pour une solution durable garante de la stabilité du Maghreb. Reste à savoir si le contenu du projet marocain est conforme aux exigences et valeurs de l’équité ? Cette compatibilité sera analysée à travers trois notions clés, à savoir la légitimité, la justice et l’égalité.

Du point de vue de la légitimité, le projet concilie deux principes fondamentaux du Droit International, à savoir le principe de l’autodétermination et le principe de l’intégrité territoriale des États. A ce titre, le point 27 du projet dispose que « le statut de l’autonomie de la région fera l’objet de négociations et sera soumis à une libre consultation référendaire des populations concernées. Le referendum constitue, conformément à la légalité internationale, à la charte des NU et aux résolutions de l’AG et CS, le libre exercice par ses populations, de leur droit de l’autodétermination ».

Quant à la notion de justice, elle doit être comprise ici, dans le sens où l’autonomie, notamment le point 12 de l’Initiative, permettra à la population sahraouie de gérer par elle-même ses affaires locales, aussi bien sur le plan administratif (y compris la police locale et la juridiction locale) que sur le plan économique, fiscal, social, des infrastructures, et de l’environnement. A cette fin, la région se dotera d’un Parlement régional, d’un gouvernement présidé par un chef qui sera élu par le Parlement régional, et d’un Tribunal Régional Supérieur. Dans le sens de rendre justice, le point 31 du projet prévoit une amnistie générale.

Concernant l’égalité, il s’agit, en fait, des dispositions à même de garantir une répartition équitable des richesses entre les régions et d’établir des passerelles entre les compétences exclusives de l’État et celles de la région. Le Point 13 du projet énumère les ressources financières de la future région autonome, dont la partie des revenus des ressources naturelles situées dans la Région et perçus par l'Etat. 

Dans ce sens, l’autonomie élargie de la région du Sahara s’inscrit  dans le cadre du principe de l’équité, aussi bien du point de vue de la charge démocratique de son contenu que de sa finalité politique et géopolitique. L’autonomie contribuera à mettre fin à un conflit qui plombe le Maghreb, à travers l’insertion des différents courants sahraouis (Polisario, unionistes, ligne du Martyr, etc.) dans un processus politique régional (Sahara) garantissant les droits et obligations qu’octroie le Statut d’autonomie, et ce dans le cadre de la souveraineté marocaine.

Conclusion

A quoi sert le droit international, sinon à libérer la société internationale des risques et des menaces. Le désir de vivre en paix se manifeste dans la production de normes et dans l’institutionnalisation du système international.  La résolution  durable et équitable de l’affaire du Sahara demeure tributaire de la capacité des parties à surmonter les difficultés, à travers une intelligence politique qui intègre l’unité et la stabilité du Maghreb comme enjeu principal du conflit.

La solution juridique est naturelle, car elle est légitime. Mais la redéfinition de l’approche juridique du conflit en dehors des démarches classiques normatives et formalistes du droit international est inéluctable, car elle est nécessaire pour faire avancer le processus de résolution du conflit: légitimité juridique et nécessité fonctionnelle forment, donc, les deux piliers de la résolution du conflit. En ce sens, l’élément fondamental de la solution négociée pour une autonomie élargie au Sahara  est qu’elle ne fait pas abstraction du droit international mais  le renforce d’autant plus qu’elle est fondée sur le principe juridique de l’équité, un principe supplétif du droit international.

L’autonomie est le cadre politique pour entériner ce mode pacifique de règlement du conflit du Sahara. Le scénario opposé est également probable, au cas où le Polisario et l’Algérie refuseraient toute concession. Dès lors, nul ne pourra prédire exactement quelle voie sera adoptée par les antagonistes, ni quelles répercussions cela aura sur la stabilité du Maghreb. Les raidissements des positions politiques construites à partir d’une optique égoïste primaire de l’intérêt national et des fausses perceptions, aboutissent à des situations géopolitiques déraisonnables comme celle de la fermeture des frontières terrestres entre l’Algérie et le Maroc. La course à l’armement, à laquelle se livrent les deux pays, devrait normalement interpeller et mobiliser toutes les bonnes volontés internationales dans le sens d’un rapprochement maroco-algérien, seul en mesure de débloquer la situation afin d’arriver à une solution négociée, juste et équitable, garante de la dignité des composantes sahraouies et de l’intégrité territoriale du Maroc.