Comprendre le choc COVID-19 : perspectives et réflexions
« Economists have a bad track record in predictions, so I will not try my hand at predicting the effect of the novel coronavirus (COVID-19) on the global financial system or the global economy. »
Thorsten Beck
Comme le dit si bien Thorsten Beck, il serait illusoire de prévoir à ce stade, compte tenu de l’information disponible, un impact chiffré de la crise sur l’économie. A l’issue de son Conseil du17 mars 2020, Bank Al-Maghrib a annoncé une baisse du taux directeur de 25 points de base ainsi qu’une prévision de 2,3% de croissance pour l’année 2020. De même, le Centre marocain de Conjoncture (CMC) table sur une croissance de 0,8%. Bien évidemment, ces chiffres restent tributaires des hypothèses retenues de part et d’autre. Le mieux qu’on puisse affirmer, c’est que le chiffre de BAM constitue, et de très loin, une borne supérieure et que la borne inférieure se situe vraisemblablement en territoire négatif. Aussi serait-il utile de noter que le ralentissement de l’activité qui résulte des mesures sanitaires nécessaires prises par les autorités est conjugué à une campagne agricole en deçà des attentes. Par conséquent, il ne nous reste que ce que nous savons du fonctionnement du système économique pour caractériser ce choc et expliciter les mécanismes en jeu.
Les possibles répercussions
- C’est d’abord un choc d’offre qui entraîne un ralentissement marqué de l’activité économique par le biais de démantèlement provisoire des chaînes de valeurs nationales mais, aussi, un arrêt définitif de l’activité du secteur informel. Il en résulte, donc, une hausse substantielle de faillite d’entreprises en difficulté dans les deux secteurs. Par conséquent, le chômage augmente.
- C’est aussi un choc de demande. Le confinement actuel touche d’abord aux dépenses de consommation sociale, c’est-à-dire à l’ensemble de l’activité collective génératrice de revenus pour certains secteurs. La culture (Arts et spectacles) est un des principaux secteurs touchés. Les sorties au café et au restaurant ont aussi un impact sur l’activité du fait de la distanciation sociale nécessaire pour le contrôle de la pandémie. De même, malgré les pics de paniques qu’on peut observer, la consommation privée est déprimée étant donné la réduction de l’espace des possibilités de consommation. Les entreprises décident de différer leurs investissements pour couvrir leurs charges de fonctionnement et assurer un minimum de liquidité. Enfin, la « consommation » nationale et étrangère de services touristiques ralentit substantiellement.
- C’est aussi une combinaison d’un choc de demande et d’un choc d’offre globaux liés à l’arrêt des chaînes de valeurs internationales mais, aussi, à la baisse généralisée des revenus à l’étranger, la situation y étant la même qu’au sein de l’économie nationale. Le résultat est donc un recul des exportations et des importations mais aussi des investissement directs étrangers et des transferts des Marocains résidant à l’étranger. Le compte courant se trouve, donc, substantiellement sous pression de même que les réserves internationales de change, éléments clés dans le modèle économique actuel du Maroc.
Par l’auteur sur la base de Richard Baldwin (2020)
Quelle issue pour l’économie marocaine ?
Tout d’abord, sur le très court terme la discipline budgétaire affichée ces dernières années par l’Etat va certainement voler en éclats, en attendant que l’économie nationale se remette sur le chemin d’une croissance forte et inclusive. Les mesures d’aide devraient en effet être maintenues, afin d’assurer une reprise forte et stable de l’économie. Cet accompagnement de l’économie sera crucial pour déterminer la forme que prendra la reprise. Le choc, étant par nature temporaire, pourrait être suivi par une reprise en V, si les acteurs économiques reprennent confiance et réapprovisionnent leurs stocks, d’une part, mais aussi si les mesures prises par nos partenaires entraînent les bonnes externalités sur l’économie nationale, d’autre part. Idéalement, des actions concertées au niveau mondial, avec une coordination des politiques économiques -au premier ordre des politiques budgétaires- éviteraient à l’économie mondiale un atterrissage brutal. Néanmoins, comme noté par Mark Leonard, le paysage international a énormément changé depuis la dernière crise majeure et la cohésion affichée alors par les leaders des grands pays. En conséquence, pour limiter les dégâts, il incombe aux économies émergentes du G20[1] , mais pas seulement, de prendre l’initiative et appeler à une coordination des politiques économiques. La tenue d’un Conseil des ministres africains des Finances pour discuter de la riposte du continent face à la pandémie est, à ce titre, une excellente nouvelle. La reprise pourrait également être en U avec un retour long vers l’expansion économique, si le choc entraîne des effets persistants, notamment sur le stock d’offre de travail excédentaire qui se retrouve au chômage mais, aussi, sur les capacités productives des industries. Cette hypothèse semble d’autant plus plausible dans le cas du Maroc, qui dispose d’un vaste secteur informel dont la reprise pourrait s’étaler dans le temps. Dans le secteur des services, notamment les services touristiques, la reprise risque d’être longue et timide, car largement conditionnée par la découverte d’un premier vaccin. En effet, deux facteurs entrent en jeu : d’une part, un « effet confiance » lié à l’incertitude qui entraîne un comportement de wait-and-see des consommateurs. Face à ce risque, une communication claire et transparente est sans doute nécessaire pour apporter des assurances aux consommateurs. D’autre part, un effet richesse négatif lié à la perte de revenus et, donc, au report des dépenses touristiques à une période ultérieure.
Quelques réflexions pour l’avenir :
- Redorer le blason du secteur de la santé
Force est de constater aujourd’hui que le Maroc, comme beaucoup de pays africains, livre un combat avec un arsenal médical limité. Malgré une hausse constante du budget alloué à la santé (cf. graphique ci-dessous), les efforts consentis restent en deçà des attentes. A cela s’ajoute d’importantes disparités régionales en termes de dépenses et d’effectifs de santé (cf. tableau).
Source : Jeune Afrique sur la base des chiffres du ministère de la Santé
Avec 5,8% de dépenses de santé dans le PIB (Haut-Commissariat au Plan-HCP) en 2013, le Maroc restait bien en deçà des autres pays à revenus intermédiaires voisins (Ex. Tunisie 7,3%). Aussi le financement de la santé pèse encore sur le budget des ménages. En effet, toujours selon le HCP, en 2013, les dépenses de santé reposaient à hauteur de 50,7% sur la consommation des ménages de services sanitaires. Cela traduit notamment l’absence des filets de sécurité nécessaires qui apportent des assurances aux acteurs économiques en cas d’à-coups majeurs. Ainsi, la priorité doit désormais être donnée à ce secteur. Le plan santé 2025, adopté en 2018, qui consacre 14 milliards à l’augmentation de l’offre hospitalière, constitue un énorme pas en avant, mais aussi une dernière chance de montrer au citoyen sa centralité dans la mise en œuvre des politiques publiques au Maroc. Au sortir de cette crise, c’est tout le gain de crédibilité engrangé par les autorités qui sera en jeu, d’où la nécessité d’une stricte application des mesures adoptées et le respect du calendrier décliné par le ministère de la Santé en 2018.
L’objectif étant, qu’à terme, le citoyen puisse accéder à des services de santé quasi-gratuits et cela doit être rendu possible en sortant le secteur de la santé, comme celui de l’éducation nationale d’ailleurs, des considérations budgétaires très court-termistes. L’idée n’est pas de remettre en cause la discipline budgétaire qui a caractérisé les finances publiques marocaines jusqu’ici, mais plutôt de redéfinir nos priorités en matière des dépenses de fonctionnement et d’investissement et d’orienter une part plus conséquente aux secteurs vitaux, source d’externalités positives sur l’appareil productif (un travailleur bien instruit et en bonne santé sera toujours plus productif qu’un travailleur malade et dont les connaissances sont limitées).
- Dans quel Maroc souhaiterions-nous vivre demain ?
« Et pour dire simplement ce qu'on apprend au milieu des fléaux, qu'il y a dans les Hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser. » Albert Camus, la Peste, 1947
La crise que nous traversons aujourd’hui sera aussi riche en enseignements pour nous en tant que citoyens marocains. Personne ne doute qu’à son issue, plusieurs acquis des dernières années seront remis en question, à commencer par le rôle dévolu à l’Etat dans la gestion des affaires économiques et sociales dans le cadre d’une économie de marché. Comme noté dans The Economist, les crises de l’envergure de la pandémie dont nous sommes témoins aujourd’hui, ont souvent été des catalyseurs d’un changement dans le dogme dominant la structure de l’Etat. Historiquement, on observe que la taille de l’appareil administratif évolue de manière non-linéaire. Cela n’est pas pour autant une mauvaise chose, mais traduit plutôt la complexité croissante de nos systèmes et la nécessité de mettre en place des garde-fous qui permettent de garder l’économie sur son sentier d’équilibre par le biais de régulation et de protection.
Par ailleurs, en cette période de confinement, chacun de nous doit se poser la question de savoir dans quel Maroc nous souhaiterions vivre demain. L’élan de solidarité affiché par chacun de nos concitoyens, de même que le soutien apporté à l’Etat est porteur d’espoir. A l’heure où notre pays réfléchit à un nouveau modèle de développement, il serait utile de tirer les conclusions nécessaires de cette expérience pour décider des valeurs sur lesquelles on souhaite établir notre contrat social. On pourrait reprendre le chemin du statuquo, comme on pourrait emprunter un autre chemin et bâtir ce Maroc entreprenant, émergent, libre et responsable, ouvert et interdépendant, dans lequel chaque citoyen épanoui apporte sa pierre à l’édifice. Camus disait que le bien public était fait du bonheur de chacun. Soyons tous Camusiens !
[1] Le jeudi 26 mars 2020, le G20 a annoncé son intention d’injecter jusqu’à 5000 milliards de dollars dans l’économie mondiale (ndlr)