Fortes impressions d’Egypte dans les mémoires de Barack Obama
« Une terre promise » (Fayard), livre événement de Barack Obama, couvre sa campagne et les trois premières années de sa présidence. L’Egypte est le pays d’Afrique dont il parle le plus – et pas seulement à cause du Printemps arabe.
L’Afrique occupe à peine 40 pages sur les 840 que comptent les mémoires de Barack Obama. La crise financière internationale, la loi Obama Care et le retrait des troupes d’Irak et Afghanistan ont retenu l’attention du président fraîchement élu. C’est l’Egypte, un pays d’Afrique situé dans la région du Moyen-Orient, qui se trouve au cœur de ses analyses. Bien plus que le Kenya, malgré « l’accueil délirant » qui lui est fait en 2006 sur la terre natale de son père « absent », lorsqu’il se rend pour la première fois à Nairobi en tant que sénateur de l’Illinois.
L’ancien président démocrate s’attarde sur son passage en Egypte en juin 2009, lors d’une tournée au Moyen-Orient. Il prononce alors son fameux discours du Caire, un plaidoyer retentissant pour la démocratie, les droits de l’homme et des femmes, dans un amphithéâtre archi-comble de l’Université.
Portrait peu complaisant de Hosni Moubarak
Découvrant la ville, il rend d’abord hommage à la gloire passée de Gamal Abdel Nasser, « colonel charismatique et raffiné » ayant acquis la stature de « leader le plus populaire du monde arabe » après avoir nationalisé le Canal de Suez. Si bien que certains dirigeants de la région tentèrent ensuite de l’imiter, écrit-il : « N’ayant ni sa sophistication ni son art pour galvaniser les foules, des hommes comme Hafez El-Assad en Syrie, Saddam Hussein en Irak et Mouammar Kadhafi en Libye se maintinrent cependant au pouvoir en grande partie grâce à la corruption, au clientélisme et à la répression brutale, tout en menant une campagne constante, bien qu’inefficace, contre Israël ».
Le portrait qu’il brosse de Moubarak contraste durement avec l’éloge de Nasser. « Il avait 81 ans, mais était encore large d’épaules et vigoureux, un nez romain, des cheveux noirs ramenés en arrière et des yeux aux paupières lourdes qui lui donnaient l’air d’un homme à la fois accoutumé au pouvoir, et qui en était légèrement las ». Les « conseils » que lui prodigue Obama sur la libération de prisonniers politiques et la levée des restrictions sur la presse tombent dans l’oreille d’un sourd.
Aussi l’ex-président enfonce-t-il le clou : « Je suis resté sur l’impression que j’aurais souvent en rencontrant des autocrates d’un certain âge : enfermés dans leur palais, avec pour seul contact avec le monde extérieur les fonctionnaires obséquieux aux visages sévères qui les entouraient, ils étaient incapables de faire la distinction entre leurs intérêts personnels et ceux de leur nation, leurs actes étant motivés par la seule ambition d’entretenir le réseau enchevêtré de copinage et d’intérêts commerciaux qui les maintenait au pouvoir. »
Excursion touristique
Afin de changer le ton et l’approche de la diplomatie américaine, et pour la rendre moins martiale, Barack Obama décide de montrer à ses interlocuteurs que « nous tenons compte de leur point de vue – ou, au minimum, que nous sommes capables de les situer sur une carte ».
L’un de ses collaborateurs le « charrie en disant que les discours que je prononçais lors de mes déplacements pouvaient être ramenés à un simple algorithme : « (Salutation dans une langue étrangère, souvent mal prononcée). C’est un immense plaisir pour moi de me trouver dans ce magnifique pays qui a tant apporté à la civilisation mondiale (Liste de contributions). Nos deux pays sont liés par une amitié très ancienne (anecdote édifiante). Et si les Etats-Unis sont ce qu’ils sont aujourd’hui, c’est en partie grâce aux millions de fiers (Américano-quelque chose) dont les ancêtres sont venus peupler nos terres ». Ça peut paraître un peu tarte, mais les sourires et les marques d’assentiment des auditoires étrangers attestaient leur sensibilité à ces marques élémentaires de reconnaissance ».
Autre gimmick de diplomatie repris partout : « une excursion touristique très médiatisée » à chaque déplacement, pour mieux « marquer les esprits » dans les pays visités, et « avoir l’ocassion d’interagir un tant soit peu avec des gens ordinaires, et pas uniquement avec des hauts responsables et des élites fortunées, qui dans bien des pays étaient jugés déconnectés de la réalité ».
Aux pyramides de Gizeh, Barack Obama est confronté à ses propres « ruminations » après l’effervescence causée par son discours du Caire : « Est-il utile de décrire le monde tel qu’il devrait être, alors que les efforts déployés pour le faire advenir seront insuffisants ? », s’interroge-t-il, conscient des limites de son pouvoir, même en tant que chef de la première puissance mondiale.
Ses collaborateurs s’amusent d’une frise, à l’intérieur d’une pyramide, sur laquelle figure un portrait de face, visage ovale et oreilles décollées comme des poignées. « Une caricature de moi, mais remontant à l’Antiquité », qui l’amène à une réflexion sur la vanité et le fait que comme « le pharaon, l’esclave et le vandale (…), moi et ceux que j’aimais serions un jour réduits en poussière ».
Printemps arabe
En rentrant de sa première visite présidentielle dans la région, Barack Obama rapporte un propos qu’il a tenu à l’un de ses conseillers : « Ça va forcément péter quelque part à un moment ou à un autre ».
Dans cet ouvrage écrit « cash », avec des gros mots parfois, s’entremêlent le récit d’une campagne, les débuts dans le bureau ovale, des réflexions sur le pouvoir et ses limites, mais aussi des mémoires plus personnelles, dans les coulisses de la présidence en tant qu’époux et père de famille. Dans la tête d’Obama, en somme, comme si on y était – ou presque. Car la subjectivité a beau être assumée, l’exercice relève aussi de la parfaite maîtrise de sa propre image. Le côté « acteur » du président et sa performance médiatique, essentielle, sont des thèmes sous-jacents dans tout le livre, sans être abordés directement.
Barack Obama livre une analyse lucide de la politique américaine dans la région MENA, « qui s’était bornée à préserver a stabilité, prévenir les troubles affectant notre approvisionnement en pétrole et empêcher les puissances adverses (d’abord les Soviétiques, puis les Iraniens) d’étendre leur influence. Ensuite, à partir du 11 septembre, c’est la lutte contre le terrorisme qui nous a occupés. Dans la poursuite de ces différents objectifs, nous nous sommes alliés avec des dictateurs, car les dictateurs sont prévisibles et aiment la discrétion ».
Du coup, les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre de reprocher à leurs alliés, Egypte et Arabie Saoudite, leurs violations des droits fondamentaux. « Je savais que mon gouvernement ne serait jamais capable de transformer le Moyen-Orient en oasis de démocratie, mais j’étais convaincu que nous pouvions et devions faire beaucoup plus pour encourager le changement ». Il raconte ses échanges, déterminants, avec Samantha Power, enseignante à Harvard et auteure d’un livre sur l’inertie américaine face aux génocides (au Rwanda notamment), nommée dans l’équipe du Conseil national de sécurité. Elle plaide pour la réforme, et la politique américaine dans la région MENA change de cap courant 2010, rattrapée par l’actualité.
Le dilemme américain
Lors de la chute de Ben Ali en Tunisie, Obama se déclare aux côtés du peuple tunisien. La contestation qui se propage en Egypte le place face à un dilemme plus complexe : les anciens dans son équipe sont favorables au statu quo, les jeunes au soutien des forces de changement. La pression médiatique compte : « Les correspondants à Washington (…) se sont mis à harceler Gibbs en exigeant de savoir pourquoi nous ne nous étions pas prononcés clairement en faveur des forces pro-démocrates. Pendant ce temps, les dirigeants de la région nous demandaient pourquoi nous ne soutenions pas Moubarak plus énergiquement ».
Obama préconise une transition, avec réformes profondes et élections « transparentes et régulières », avec le retrait de Moubarak. Une vue quelque peu utopique et entièrement motivée par les intérêts américains : « Elle permettrait à Moubarak de prendre sa retraite, tempérant auprès des autres dirigeants l’impression que nous étions prêts à lâcher nos alliés dans la région aux premiers troubles politiques ».
La suite est connue : après un coup de fil à Hosni Moubarak lui enjoignant de se retirer tout de suite, le 1er février, Barack Obama décide de faire une déclaration. « Même si mes rapports avec un establishment sécuritaire toujours gêné par la perspective d’une Egypte sans Moubarak m’agaçaient parfois, ce même establishment – en premier lieu le Pentagone et la communauté du renseignement – avait probablement bien plus de poids sur la suite des évènements que n’importe quelle noble déclaration de la Maison-Blanche. Une ou deux fois par jour, (des responsables) s’entretenaient discrètement avec le commandement militaire et les services de renseignement pour bien leur faire comprendre que si l’armée cautionnait les violences contre les manifestants, cela aurait des conséquences graves sur les relations entre les Etats-Unis et l’Egypte ».
Onze jours plus tard, Moubarak jette l’éponge. Cette position a-t-elle été aussi déterminante qu’Obama le suggère ? Il rappelle s’être ensuite fait taper sur les doigts par le prince Mohammed Ben Zayed, des Emirats Arabes Unis, qui lui fait savoir que huit autres dirigeants arabes sont susceptibles de « tomber à leur tour », et que les « Etats-Unis ne sont pas un partenaire fiable à long terme ». Il évoque le raidissement en Syrie et au Bahreïn face à la contestation, pour terminer sur la décision d’intervenir en Libye. L’objectif, pris dans les considérations dictées par l’immédiat dans la prise de décision politique : empêcher un massacre à Benghazi, ville prise par des forces rebelles, face à un Muammar Kadhafi, présenté comme un « forcené » sans « contact avec la réalité ». Il manque une analyse sur les conséquences de ce choix, que l’on attend dans la suite de ces mémoires sur le second mandat.