L’ANC au scrutin du 8 mai : Analyse d’un échec attendu
A quelques heures des élections générales en Afrique du Sud, je ne peux m’empêcher, comme à mon habitude, de me jeter à l’eau en tentant un pronostic. Je ne pourrais me vanter d’inventer la roue en avançant que le Congrès national africain (ANC) gagnerait ces élections et que le président Cyril Ramaphosa continuerait à présider aux destinées du pays au lendemain du 8 mai prochain.
L’issue du match n’étant donc pas une inconnue à prophétiser, je pousse le défi à un pronostic sur le score. En effet, pour nombre d’observateurs, au fait de la chose sud-africaine, si la victoire de l’ANC ne fait aucun doute, la portée de cette victoire en termes de part des voix est loin d’être prédictible, du moins dans une fourchette allant de 62 à 54 % des suffrages. Ces deux limites sont très importantes dans la mesure où la limite haute constituerait un grand succès pour l’ANC et que la limite basse signifierait qu’il court vers la chute à pas de course.
Ce score constitue l’enjeu entre le Congrès national africain et ses opposants dont principalement l’AD Alliance démocratique (AD) et les Combattant pour la liberté économique (EFF). Si l’ANC affronte le challenge de conserver, sinon de dépasser, le score de 2014, placé entre 62 et 63% ; les opposants cherchent à améliorer leurs propres performances (22% pour l’AD et 10% pour l’EFF), ou, à défaut, faire baisser celle de l’ANC. S’ils arrivent à rallier les deux objectifs, ils porteront au parti gouvernant un coup qui entamerait peut-être sa chute future.
La victoire, peut-être, mais à quel prix ?
J’examinerai la question du score que l’ANC pourrait réaliser, en partant d’abord du climat général qui a régné au sein du parti depuis décembre 2017, date des élections qui s’étaient couronnées par l’arrivée de Ramaphosa à la tête du parti. Cet événement avait coïncidé avec l’éclatement du scandale de capture de l’Etat, une affaire de corruption qui a poussé l’ancien président Jacob Zuma à la démission, plus d’une année avant le terme de son mandat. L’ANC était sorti plus que jamais divisé de cet épisode, entre un clan favorable au nouveau président, Cyril Ramaphosa, et un autre resté fidèle à l’ancien, en dépit des scandales de corruption dans lesquels il était impliqué. Un seul fil reliait, dès lors, les deux clans, la peur d’une éventuelle déroute aux élections de 2019. Cette peur servit la cause de Ramaphosa qui, en déclarant la guerre à la corruption, passait pour être la seule voie de salut pour l’ANC. Il entreprit, alors, de donner au parti un semblant d’image d’union en dépit de quelques incidents qui trahissent des fissures internes profondes. S’il est vrai que Ramaphosa avait également entrepris quelques actions judicieuses aux niveaux économique et social ; son souci majeur restait d’unifier les clans frères/ennemis et présenter aux Sud-africains un ANC uni. C’est l’image que donne le Congrès national africain aujourd’hui, du moins dans l’apparence. Les informations des coulisses rapportent une guerre intestine qui hésite encore à dire son nom.
C’est ce climat de division qui constitue le point de départ d’un doute autour de la performance de l’ANC, dont le visage est déjà balafré par les scandales de corruption ayant entrainé la démission de Jacob Zuma.
Un bilan peu défendable
L’ANC a du mal à défendre son bilan économique. L’effet néfaste du comportement moribond de l’économie sud-africaine qui a accompagné la présidence de Ramaphosa durant l’année 2018, est aggravé par des taux de chômage qui se sont élevés pour atteindre des dimensions insupportables pour la population en 2018 (27,1 %). Le salaire minimum introduit par Cyril Ramaphosa comme mesure socio-économique, en vue d’améliorer le quotidien des travailleurs sud-africains, a été qualifié par ces derniers de ‘’salaire de l’esclavage’’. La promotion de l’économie sud-africaine auprès des investisseurs étrangers n’a pas porté ses fruits. En effet, le quatrième trimestre de 2018 a vu les IDE en Afrique du Sud baisser de 200 millions de dollars US, pour se stabiliser à 209,6 millions de dollars.
La désaffection politique annoncée n’est pas pour arranger les affaires de l’ANC. Plusieurs jeunes ne croient plus aux différentes politiques sociales et économiques du parti, et ne trouvent plus aucun enjeu dans les différentes opérations électorales. Même les électeurs traditionnels de l’ANC risquent de ne pas se rendre aux urnes ; convaincus que le parti dispose d’assez de marge pour gagner. Chacun des sympathisants comptera sur les autres et sur les lauriers du parti ; la médiatisation accrue de la victoire certaine du parti ANC incitera plusieurs de ses supporters à rester chez eux le jour du scrutin.
Les handicaps l’emportent sur les atouts
De quoi dispose l’ANC pour faire face à ces handicaps qui risquent de le mener à l’échec.
Le charisme de Cyril Ramaphosa est le premier atout de l’ANC pour sauver la place du parti dans la politique sud-africaine. Il n’a certes pas su convaincre ou réanimer le parti après le choc de décembre 2017/février 2018 ; mais garde un capital respect chez les Sud-Africains, d’autant plus que son discours de la lutte contre la corruption tient la route.
L’histoire de l’ANC est également un atout électoral sur lequel il peut capitaliser, pour réussir les prochaines élections même si le réservoir de légitimité historique est érodé. Plusieurs Sud-africains restent encore séduits par le discours révolutionnaire prônant la libération du continent. Ce discours tient encore, même si l’EFF s’en est accaparé et en a fait meilleur usage que l’ANC.
Le troisième avantage qui pourrait jouer en faveur de l’ANC est la faiblesse de l’opposition. Il est difficile de voir l’AD réaliser plus de 30% et l’EFF atteindre les 20% pour vraiment menacer l’ANC. Le seuil maximal pour l’AD dans les sondages reste de 25% et celui de l’EFF de 15%.
Que peut-on, donc, attendre au lendemain des élections du 8 mai prochain ?
La mise dans la balance les atouts de l’ANC et ses vulnérabilités laissent entrevoir une légère avance de ces handicaps sur les avantages. L’ANC est, à mon avis, sérieusement atteint et risque fort de ne pas survivre à la crise actuelle. Plusieurs rumeurs laissent entendre les ambitions de création d’un nouveau parti par les dissidents.
Il y aurait certainement un ANC d’avant le 8/5/2019 et un ANC d’après cette date.
Mon pronostic ?
Le parti de Nelson Mandela subira un échec historique, en dégringolant à moins de 58%, niveau qu’il n’a jamais atteint dans des élections générales depuis sa création.
La question :
Ramaphosa survivra-t-il à cet échec, devant des détracteurs aux sein de l’ANC qui l’attendent au tournant et qui lui imputeront l’échec ?