La crise au temps de la pandémie Covid-19 : Comment l’Algérie sortira-t-elle de l’impasse ?
Tous les pays du monde sont touchés, à différentes échelles, par la pandémie du Covid-19. Les interrogations autour du degré de résilience des Etats africains sont nombreuses et les questionnements sur l’avenir du continent, si la pandémie venait à perdurer dans le temps, le sont tout autant. Comment des Etats peu dotés en moyens sanitaires pourront-ils y faire face ? Y a-t-il un risque de violence dans certains pays où le degré de stabilité politique est faible ? Et, enfin, qu’adviendra-t-il des aspirations au développement économique et à la bonne gouvernance, si la crise venait à légitimer des normes politiques liberticides ?
L’Algérie est un cas intéressant à étudier, du fait qu’antérieurement à la crise du Coronavirus le pays connaissait déjà une autre crise, économique, et, surtout, politique, avec un mouvement de protestation populaire sans précédent. Les mêmes questions de gestion sanitaire et d’accaparement politique se posent dans le plus grand pays d’Afrique. Avec un président fraichement élu et une baisse drastique du prix du baril de pétrole, l’Algérie devra faire face, dans les prochains mois, à une double pression, celle de la réforme politique et économique du pays, en parallèle avec la gestion de la crise du Coronavirus.
Une crise économique qui met à mal le gouvernement
Le gouvernement algérien, dont le pays est sous le régime de confinement depuis la mi-mars, a décidé d’étendre les mesures d’état d’urgence sanitaire à l’ensemble du territoire jusqu’au 29 mai. En effet, avec plus de 6000 cas enregistrés et un fort taux de mortalité[1], l’Algérie a tout intérêt à se prémunir d’une nouvelle vague de contaminations. Néanmoins, face à une crise économique aigüe à laquelle il fait face (fonte du matelas de devises, recours à la planche à billets, chômage de masse, chute des prix des hydrocarbures), le gouvernement algérien ne peut se permettre de maintenir l’économie algérienne en pause pour longtemps. Pourtant, le président Abdelmadjid Tebboune refuse le recours aux prêts internationaux et s’est même montré optimiste durant une longue interview télévisée inédite depuis le palais présidentiel avançant que l’Algérie avait connu pire dans les années 90 et que le pays regorgeait de ressources hors pétrole et gaz, notamment en terres rares[2] qui lui permettraient de sortir de l’impasse[3].
Il est à noter que les ressources tirées des hydrocarbures représentent plus de 95% des recettes du pays. Il est difficile de savoir alors comment garantir un semblant de croissance avec le ralentissement du commerce international et d’opposer aux déclarations du nouveau président algérien autre chose que du scepticisme.
Au-delà des discours, le gouvernement algérien a dû prendre des mesures drastiques pour pallier la baisse des recettes, notamment la réduction de moitié des dépenses liées au budget de fonctionnement de l’Etat et l’arrêt de l’importation de certains produits. Confronté à cette crise, l’Etat algérien doit réagir rapidement et efficacement pour parer aux besoins urgents liés à la crise sanitaire mais aussi préparer l’avenir en diversifiant son économie et, surtout, en rompant avec les pratiques politiques du passé. Bien que le président algérien ait tendu la main au mouvement populaire qui secoue son pays, les doutes autour de la compétence du gouvernement sont toujours là et l’instabilité politique demeure.
La réforme constitutionnelle comme réponse au Hirak
Contesté et élu avec un taux d’abstention de plus de 40 %, le président Tebboune est confronté à un mouvement populaire (le Hirak) encore en demande de réformes sociales et de garanties solides de renouveau. Pour ce faire, une réforme constitutionnelle a été proposée afin d’assurer la « concrétisation des revendications de l'authentique Hirak béni ». Projet phare de la nouvelle présidence, la réforme peine à convaincre et des voix s’élèvent pour critiquer, sur le fond, une continuité négative avec la précédente constitution et, sur la forme, le manque de consultation démocratique dans le processus de réflexion (une commission d’experts a été constituée pour mener à bien le projet de réforme sans consultation préalable de la société civile). Ce dialogue avec le Hirak est, aussi, entaché par l’arrestation de plusieurs figures du Hirak durant cette période de pandémie[4].
Par contre, certaines mesures proposées dans ce projet préliminaire semblent ambitieuses et utiles à une refonte politique et économique du pays. Au niveau politique, l’axe des libertés fondamentales propose le recours à un système déclaratif, à savoir : l'exercice des libertés de réunion et de rassemblement public sur simple déclaration et la liberté de création des associations sur simple déclaration. Ajouté à cela, la garantie de la liberté de la presse et l’interdiction du contrôle préalable de cette liberté qui semble être une mesure inédite dans un pays où la presse demeure encore, jusqu’à très récemment, fortement contrôlée. Au niveau économique, l’abolition de la règle du 49/51[5] qui impose la présence d’un investisseur algérien à tout investisseur étranger voulant opérer dans le pays pourrait permettre la mise en place d’incitations à l’investissement direct étranger qui s’avérerait salutaire pour un pays à l’économie peu diversifiée et où des secteurs, comme le tourisme ou l’industrie, sont peu développés[6].
L’Algérie est à la croisée des chemins au sens propre du terme. Le pays est à un tournant politique et économique de son histoire. Mise sous pression par une crise sanitaire mondiale, l’Algérie concrétisera ses aspirations et s’engagera sur la voie de la croissance, doublée d’une profonde réforme politique, ou elle s’enlisera dans des réflexes autoritaires qui laisseront les aspirations démocratiques de son peuple sans réponse. Face à ces incertitudes, seul le temps nous dira si l’Algérie émergera du long sommeil qui fut le sien.
[1] Selon le dernier bilan disponible à la date du 20 avril, le taux de mortalité en Algérie suite au Coronavirus (nombre de patients décédés par rapport au total de personnes infectées) est de 14,26%, le taux le plus élevé enregistré dans un pays arabe.
[2] Bien qu’il n’existe aucun recensement officiel, le président algérien a affirmé que le sous-sol algérien recèle d’énormes ressources en terres rares. Constituées de 17 métaux, dont le scandinium, l'yttrium et 15 lanthanides, les terres rares sont des matières premières stratégiques, très recherchées, notamment pour les composants de technologies de pointe (optique, téléphonie, automobile et aussi croissance verte).
[3] Conférence de presse du président algérien à partir de la minute 12 :35 https://www.youtube.com/watch?v=DKnCq4ZHNIY
[4]Les autorités algériennes ont interpellé plusieurs militants du Hirak, malgré la trêve sanitaire imposée, visant à faire face au Covid-19. « Au moins 32 personnes arrêtées, entre le 25 février et le 13 avril, de manière arbitraire pendant le mouvement du Hirak demeurent derrière les barreaux, dont huit ont été interpellées après le début de la pandémie », alerte Amnesty Internationale.
[5] Article 4 bis, alinéa 2, Code de l'investissement algérien : « Les investissements étrangers ne peuvent être réalisés que dans le cadre d'un partenariat dont l'actionnariat national résident représente 51% au moins du capital social. Par actionnariat national, il peut être entendu l'addition de plusieurs partenaires ».
[6] A titre d’exemple, la destination Algérie a attiré un peu plus de 2 millions de touristes en 2018, tandis que le Maroc en a accueilli la même année 12,3 millions.