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Maelstrom du Coronavirus : l’Europe à l’épreuve

Iván Martín | Posted : March 22, 2020

“L’Europe n’existe pas. Je le sais bien, car j’y habite ». Cette boutade d’un européiste convaincu, comme l’écrivain espagnol Manuel Vazquez Montalbán, décédé en 2003, reflète bien le sentiment de beaucoup d’Européens devant le manque de réaction de l’Union européenne dans les premiers moments de la crise du coronavirus.

Le Rédacteur-en-chef adjoint du journal italien La Repubblica, Gian Luca di Feo, l’exprimait de façon plus concrète le 17 mars depuis le pays le plus frappé par la crise du coronavirus ((plus de 5476 morts déjà en Italie à la date du 22 mars, pour 1753 en Espagne), dans une tribune publiée dans El Païs et dans Le Figaro qui mérite d’être citée in extenso :

« Des masques, des gants en caoutchouc, des lunettes en plastique, voilà les premières choses que l’Italie a réclamé à l’Europe : le pays a demandé de l’aide pour construire la barrière la plus simple qui soit contre le coronavirus. Mais son appel est resté sans réponse. La France et l’Allemagne ont fermé leurs frontières à ces produits, en interdisant ainsi l’exportation et nous ont envoyé un signal inquiétant : aucun soutien concret, même pas minime, ne serait arrivé de Bruxelles. Pourquoi l’Europe, avec son colossal appareil administratif et technique, n’a-t-elle rien fait pour prévenir l’épidémie et coordonner le confinement? Chaque pays a agi à sa guise […] Il aurait fallu prendre des décisions communes, mais il n’y en a pas eu. Pourquoi l’Europe ne s’est-elle pas chargée de mettre en place un plan de production commun des équipements élémentaires, tels que les masques et les gants, et du matériel qui s’est révélé déterminant en Chine? ».

Sa conclusion est implacable : 

« Même dans cette situation, la plus dramatique depuis la naissance de l’Union européenne, l’Europe est apparue étrangère aux problèmes des citoyens : une entité bureaucratique incapable d’interventions concrètes. Il n’y a eu ni solidarité ni supervision. Une triste leçon que l’on n’oubliera pas : une fois l’épidémie terminée, plus rien ne sera comme avant. ».

En contraste, la Chine envoyait, entre le 13 et le 16 mars, les premiers lots de matériaux médicaux (31 tonnes et même une équipe médicale spécialisée pour l’Italie et 500.000 masques pour l’Espagne), et envisage l’envoi de 2,2 millions de masques, 300.000 tests du coronavirus et des conseillers médicaux spécialisés….

En effet, la réaction des institutions de l’Union européenne a été à la traine des événements. Le 10 mars, les chefs d’Etat et de gouvernement se sont réunis pour la première fois par vidéoconférence, et les seules décisions qu’ils ont prises furent de mobiliser €140 millions de ressources additionnelles pour la recherche du vaccin contre le coronavirus et une « Initiative d’investissement en réaction au Coronavirus”, ciblant les systèmes sanitaires, les PME, les marchés de l’emploi et autres secteurs vulnérables des économies…avec une dotation de €25 milliards. Quelques jours plus tard, le gouvernement italien annonçait un plan de €350 milliards, l’Espagne un plan de €200 milliards, la France un autre de €345 milliards et  l’Allemagne un plan de €500 milliards…

C’est seulement dans la dernière semaine, après des jours de réactions en ordre dispersé des États membres, que les institutions européennes ont donné l’impression de rattraper le temps perdu et de dépasser la réaction isolationniste du début (partagée par d’autres pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni):

  • Le 17 mars, le Conseil européen, réuni par téléconférence pour la deuxième fois, s’est mis d’accord sur  la fermeture des frontières externes à des citoyens des pays tiers pour des déplacements qui ne sont pas essentiels, pour la première fois dans son histoire…après quelques jours, pendant lesquels plusieurs États membres (Allemagne, Autriche, Pologne, Hongroie) fermaient les frontières internes avec d’ autres pays de l’UE, suspendant ainsi la libre circulation de personnes, en violation évidente de la législation européenne…. ;
  • La Banque Centrale européenne (BCE) annonçait le 18 mars un programme de €750 milliards pour acheter de la dette publique et privée des Etats membres …après avoir laissé les bourses du continent s’effondrer jusqu’à 30% et seulement deux jours après que la Présidente de la BCE, Christine Lagarde, ait déclaré que « Nous ne sommes pas ici pour réduire les primes de risque. C’e n’est pas la fonction de la BCE » ;
  • Le même jour, la Commission européenne, sous la pression des actes de solidarité de la Chine, annonçait un programme conjoint pour l’acquisition, la production et la distribution aux États membres de masques et respirateurs, sous la supervision du Centre de Coordination de la Réaction d’Urgence de l’UE ;
  • Finalement, le 20 mars la Commission européenne a proposé de suspendre les règles fiscales, permettant aux Etats membres de dépasser les limites établies pour leurs déficits publics dans le Pacte de Stabilité et Croissance.

Deux conclusions s’imposent :

  • Une, positive : Il y a une forte demande d’Europe, parmi les citoyens européens (comme, par ailleurs, à l’échelle globale, où l’UE reste malgré tout, et au moins sur le papier, le grand champion du multilatéralisme et des droits humains universels). L’offre de l’Europe n’est pas, à ce jour, à la hauteur de cette demande. Les citoyens italiens et espagnols regardent vers l’Europe à la recherche de modèles, de références, de solidarité, et se retrouvent souvent face à la bureaucratie et aux intérêts créés qui retardent la réponse (tout comme les citoyens dans les pays moins développés ou sous régimes autoritaires dans le monde). Mais, finalement, les institutions européennes réagissent.
  •  L’autre, inquiétante : Faute d’un saut en avant dans les prochaines années, il y a un risque évident de dissolution et de perte progressive des acquis de l’Union européenne: la supranationalité comme modèle de gouvernance face à la globalisation et aux nationalismes, partageant la souveraineté pour renforcer la capacité d’agir face aux défis mondiaux ; la régulation commune des questions comme les droits des consommateurs et des travailleurs, l’égalité hommesfemmes ; la protection de l’environnement ; la libre circulation ; la citoyenneté européenne ; la solidarité internationale comme dimension essentielle de la construction européenne, et même l’euro. En un mot, la paix et la prospérité. La crise du coronavirus pose un nouveau défi à ces acquis: renforcer le processus d’intégration européenne et répondre à cette demande par des solutions concrètes aux problèmes concrets des citoyens, en Europe comme ailleurs, et au même temps une vision partagée et une réponse opérationnelle coordonnée et unie aux grands défis posés par le processus de globalisation et de cette façon sauver le modèle de bien-être européen (et, par ailleurs, le système multilatéral global), ou laisser le champ libre aux populistes qui ont déjà engrangé une représentation électorale significative partout en Europe par leurs discours nationalistes, leurs slogans antimigration et anti-solidarité et leur anti-européanisme. Voilà le vrai défi du coronavirus.

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