Sommet de Pau ou Sommet de Pô : Quelles options pour la résolution du conflit au Mali ?
La récente déclaration du Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies 1 et les relais dans les différents médias qui avancent que la situation au Mali qui se détériore de plus en plus serait presque un euphémisme, tant l’Etat malien souffre depuis 2013 d’un manque de stabilité patent. La perspective d’organisation d’élections législatives en 2020 demeure très incertaine au vu des attaques répétées des groupes terroristes qui, en plus de menacer la vie des Maliens, remettent en cause la légitimité même de l’Etat.
Sur fond de conflit ethnique et de revendications sociales, les différentes factions et milices terroristes organisent un contre discours clair, rejetant en bloc l’intervention étrangère et la politique de l’Etat jugée complaisante avec les puissances étrangères. Entre temps, les Maliens, pris entre deux feux, fuient leurs foyers avec un nombre record : 140 000 personnes ont été déplacées en 2019, soit une multiplication par sept par rapport aux 12 mois précédents, a rapporté l'Observatoire des déplacements internes. Depuis janvier, les combats ont fait 817 morts parmi les populations civiles, contre 574 environ en 20182, sans compter les militaires, maliens et étrangers, tombés au front.
Devant cette situation, il est devenu, non seulement impératif pour la France de revoir les modalités de son intervention et de sa présence au Mali, mais aussi pour l’Etat malien et ses partenaires régionaux de repenser leurs stratégies. A l’heure où Paris fait face à une résurgence d’un sentiment anti-français au Mali, le président Macron appelle l’ensemble des Etats de la région à définir clairement les objectifs et à déclarer leur soutien à la présence française au Mali3, chose ardue eu égard au sentiment de la population malienne à l’égard de l’armée française.
Comment, alors, concilier les vues entre une France, qui doit protéger ses intérêts dans la région et qui connait le potentiel de chaos que pourrait générer son retrait éventuel, et un Etat malien qui fait face à une demande persistante des populations pour moins d’interventions étrangères et des groupes armés terroristes qui modèlent aussi un discours politique avec des attentes et des besoins de garanties ?
Entre intensification de la présence militaire et l’urgence du dialogue
Face aux difficultés auxquelles fait face l’appareil sécuritaire malien et la faiblesse du G5 Sahel, la communauté des Etats du Sahel appelait à une « désahelisation » de la lutte contre le terrorisme dans la région et des défis de développements tant le risque d’embrasement est grand. Le risque pour le Maghreb est grand et pour l’Europe aussi, un sahel en proie au terrorisme est un sahel en crise migratoire et c’est un sahel où personne n’investit.
Il est urgent de considérer cette menace comme étant frontalière pour les pays du Maghreb et comme une menace sécuritaire pour ceux de l’Europe. Que dire si l’on suit ce raisonnement et qu’on comprend l’ampleur de la menace des pays comme le Burkina Faso, le Niger ou encore la Mauritanie qui pâtiraient gravement d’un embrasement et d’une résurgence du terrorisme et des attaques violentes aux portes de leurs territoires ?
Face à ces enjeux, la France cherche un soutien sans ambages de la part des Etats du G5 Sahel. En somme, Emmanuel Macron cherche à légitimer la présence française en faisant comprendre aux populations à quel point elle est importante. C’est dans ce sens que le Sommet de Pau4 a permis au président français de «clarifier» sa position sur la présence des troupes françaises dans les pays du Sahel. La clarification voulue par Paris a bien eu lieu. Dans la déclaration conjointe, les dirigeants des pays sahéliens expriment leur « souhait de la poursuite de l’engagement militaire de la France au Sahel » et plaident « pour un renforcement de la présence internationale à leurs côtés ». Cette présence sera restructurée dans un nouveau cadre impliquant le G5 Sahel, la France et les autres partenaires internationaux dans une volonté de permettre une meilleure implication des forces africaines sur place. D’autre part, il s’agit aussi d’intensifier l’effort de stabilisation dans la région avec une augmentation de l’effectif des troupes françaises qui passeront de 4500 à 4720 soldats sur place et une mise en commun avec la création d’un commandement conjoint barkhane/G5 Sahel et forces européennes rebaptisé « Task force Takouba ».
Au même moment, à Pô, au Burkina Faso, se tenait un sommet parallèle avec la présence de plusieurs acteurs de la société civile qui interpellait les leaders africains sur leur autonomie et leur implication dans la résolution du conflit au Sahel. Après ce sommet, l’animosité à l’égard des troupes étrangères demeure vive, la situation économique délétère est toujours là, alors que les groupes terroristes se renforcent et gagnent du terrain. Dans les 4 piliers du nouveau cadre de collaboration entre la France et les pays du G5 Sahel, trois sont d’ordre militaire et seulement un dédié au « développement ».
Le dialogue : Quelles options et quelle faisabilité ?
« Les chances de vaincre la katiba Macina par les armes sont minces », reconnaissait l’International Crisis Group (ICG) dans un rapport publié en mai 2019. Dans ce sens, les acteurs de la société civile et des chefs religieux multiplient les appels au dialogue. Il est aussi question, depuis 2015, de contacts indirects et officieux, entre le gouvernement malien et les djihadistes. Officiellement, tout appel au dialogue est rejeté par l’Etat malien. Néanmoins, il n’est pas interdit de croire qu’une initiative claire de dialogue continu et constructif pourrait aboutir à une accélération du processus de paix au Mali, tant la voie des armes demeure non seulement infructueuse mais presque contreproductive. Il restera à définir les modalités et les objectifs du dialogue et à déterminer la volonté d’une personnalité comme Amadou Koufa ou d’autres chefs guerriers d’apaiser la situation et d’accepter le dialogue.
Au Mali, comme ailleurs dans la région, la guerre contre le terrorisme se gagnera sur le terrain mais aussi dans les cœurs. Il est indispensable d’obtenir l’adhésion des populations dans le projet de développement des Etats sahéliens. Combattre les terroristes sur le terrain et empêcher la violence sont des mesures tactiques essentielles. Stratégiquement, il s’agit de couper ces groupes de potentielles recrues désœuvrées, de terreaux fertiles dans les villages pour les conflits ethniques et de créer parmi les populations le sentiment que leur destin est entre leurs mains.
Les opinions exprimées dans cet article appartient à l’auteur.
1 « Je suis préoccupé par les retards persistants dans la mise en œuvre de l’Accord de paix », indique Antonio Guterres,en évoquant les difficultés du « dialogue national inclusif » et « l’insécurité croissante à travers le pays, notamment le manque de redéploiement des forces de défense et de sécurité maliennes dans le Nord »
2 Voir the Armed conflict location and event Data project
3 "Je vois des mouvements d'opposition, des groupes qui dénoncent la présence française comme une présence impérialiste néocoloniale (....) Je vois dans trop de pays prospérer sans condamnation politique claire des sentiments anti-francais. Je ne peux pas accepter d'envoyer nos soldats sur le terrain dans les pays où cette demande (de présence française) n'est pas clairement assumée", Déclaration d’Emmanuel Macron à Niamey le 22 décembre 2019
4 S’est tenu à Pau le lundi 13 janvier.
Le choix des deux villes est très significatif :
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Pô est le lieu de naissance de Tomas Sankara et le lieu de son départ avec Blaise Compaoré pour leur célèbre coup d’état. C’était également un grand centre militaire pour le régime de Blaise Compaoré.
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Pau est un grand centre militaire français, surtout pour les régiments de parachutistes. Les rumeurs courent que Tomas Sankara y soit passé aussi. A noté que beaucoup de militaires marocains y ont fait leur stage à l’époque coloniale et post coloniale.