Un chemin semé d'embûches pour éliminer les subventions des carburants au Nigeria
Depuis la découverte des ressources pétrolières du Nigeria en 1956, le secteur pétrolier a progressivement revêtu une importance considérable, jusqu'à devenir le principal moteur de l'économie du pays : le pétrole brut est le premier poste d'exportations (figure 1) ainsi que le principal pourvoyeur en réserves de devises et de recettes fiscales pour le gouvernement fédéral nigérian (figure 2). Cependant, malgré son importance, le secteur pétrolier n'a pas élargi la base productive de l'économie nigériane. En effet, l'industrie pétrolière contribue à moins de 10 % du produit intérieur brut (PIB) du pays (figure 3) et ne procure pas un volume important de main-d’œuvre. Selon les estimations de l'Organisation internationale du travail (OIT), cette dépendance précaire de l’Etat au secteur constitue ce qui semble être un frein à la croissance d'autres secteurs tels que l'industrie manufacturière et l'agriculture. Elle a également été préjudiciable à la croissance économique elle-même, en raison de la volatilité des prix du pétrole brut sur le marché international, laissant le Nigeria vulnérable à toute crise majeure.
Alors qu’il se remettait à peine de la baisse des cours du pétrole, survenue entre l’été 2014 et début 2016, la crise sanitaire COVID-19 a précipité le Nigeria dans une nouvelle période de récession. En effet, la croissance du PIB réel est progressivement passée de -1,6 % en 2016, soit le niveau le plus bas jamais enregistré depuis 1990, à +2,2 % en 2019, contre une moyenne de 6 % au cours de la période 2010-14. Selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI) avant la pandémie, le PIB réel nigérian devait croître de 2,2 % en 2020, mais ce chiffre a été révisé à -3,2 %. En réaction, le gouvernement nigérian avait révisé fin mars 2020 son budget initial pour l’année 2020 et avait revu à la baisse le prix de référence du pétrole, de 57 USD à 28 USD par baril. Il avait également réduit la production de pétrole brut suite aux mesures prises dans le cadre de l’OPEP+, conformément à l'accord conclu entre 23 pays producteurs de pétrole, dont le Nigeria, en avril 2020. Néanmoins, le pays s'est tout de même retrouvé dans une situation de manque à gagner considérable.
Pour faire face aux conséquences désastreuses de la pandémie sur l'économie nigériane, le Conseil exécutif fédéral du Nigéria a approuvé, en juin 2020, le Plan de Soutenabilité Economique. Le montant du plan avait été fixé à environ 6 milliards de dollars US et sera financé par des comptes spéciaux, la Banque centrale du Nigeria, des sources bilatérales et multilatérales externes et d'autres sources de financement. Le plan de relance prévoit des investissements dans les énergies propres, l'agriculture et les infrastructures, ainsi que des mesures plus larges pour réduire la dépendance aux combustibles fossiles. Dans ce sens, le gouvernement fédéral, par l'intermédiaire de la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), avait proposé une réforme très ambitieuse visant à déréglementer le prix des produits pétroliers. Cela signifierait la fin des subventions pour le Premium Motor Spirit (PMS), également connu sous le nom d'essence.
À cette fin, en septembre 2020, l'Agence nigériane de régulation des prix des produits pétroliers (PPPRA) a annoncé que la tarification de ces derniers suivrait désormais les règles du mécanisme de fixation des prix du marché pétrolier international, basé sur l'offre et la demande. Le ministre d'État chargé des ressources pétrolières, Timipre Sylva, avait également déclaré en septembre 2020 que le Nigeria escomptait l’économie de jusqu'à 2,4 milliards USD par an grâce à la suppression des subventions pétrolières. Cette réforme est donc prometteuse, mais elle ne fonctionnera que si des efforts substantiels sont déployés pour veiller à ce qu'elle n'ait pas d'impact négatif sur les plus vulnérables. Dans le passé, la suppression des subventions aux combustibles fossiles au Nigeria avait donné lieu à des manifestations de masse en raison des risques de creusement des écarts de richesse dans un pays déjà très inégalitaire. Les efforts de l'ancien président Goodluck Jonathan pour supprimer ces subventions voici neuf ans avaient d’ailleurs contribué à sa défaite et à celle de son parti lors des élections de 2015, qui avait porté l’actuel président Muhammadu Buhari au pouvoir.
Six mois après l'annonce de la PPPRA, de nombreux doutes émergent sur la mise en œuvre effective de cette réforme de déréglementation des produits pétroliers. En effet, depuis novembre 2020, le prix du Premium Motor Spirit est resté inchangé malgré l'augmentation des prix du pétrole brut sur le marché international, qui ont dépassé la barre des 70 USD le baril en février 2021. La NNPC a justifié son maintien des prix par sa volonté de ne pas compromettre les discussions en cours avec les syndicats et les autres parties prenantes au sujet d'un cadre acceptable qui n'exposerait pas le Nigérian ordinaire à des difficultés. L'inflation des denrées alimentaires ayant atteint son niveau le plus élevé depuis 12 ans, le Nigeria risque désormais de subir une réaction brutale de la part de la population s'il laisse le coût du carburant augmenter en fonction du rebond du pétrole brut sur les marchés internationaux. En effet, suite aux nombreuses augmentations de prix au cours au second semestre 2020, les syndicats avaient menacé de manifestations si de nouvelles augmentations étaient annoncées.
La NNPC, seul importateur d'essence au pays, prend le contrecoup en n'augmentant pas son prix de vente aux entreprises chargées de la distribution de carburant. Bien qu'il soit l’un des premiers producteurs de pétrole brut d'Afrique, le Nigeria achète toute son essence à l'étranger, un service que la NNPC effectue exclusivement depuis 2017 via des échanges de brut contre du carburant avec des négociants locaux et internationaux. Cela est dû au fait que les quatre raffineries du pays sont fermées depuis plus de deux ans pour réhabilitation. En conséquence, le Nigeria est privé des devises étrangères qu'il aurait pu tirer de la vente d'environ 400 000 barils de brut par jour, qu'il échange actuellement contre les produits raffinés revendus à bas prix à ses citoyens. Le Nigeria a ainsi dépensé 24,8 milliards USD en subventions aux carburants entre 2010 et 2019, dont 1,7 milliard USD en 2019 (Figure 3), un manque à gagner considérable pour la NNPC. La déréglementation du secteur pétrolier en aval reste ainsi un discours politiquement sensible, car elle impliquerait souvent une forte augmentation du prix de l'essence à la pompe, avec les conséquences sociales prévisibles.
Malgré cette condamnation générale, la plupart des économistes et des parties prenantes s'accordent à dire que la suppression des subventions à l'essence est une étape nécessaire vers une réforme attendue depuis longtemps, car le pays n'a pas été en mesure d'exploiter efficacement ses raffineries. À titre d'exemple, la Major Oil Marketers Association of Nigeria (MOMAN) a fait remarquer que la suppression de la subvention de l’essence au moment de la baisse des prix éliminerait le gaspillage, réglerait le problème récurrent de la faible marge des négociants et mettrait le pays sur la voie de la fixation du prix approprié pour le produit. Mais la déréglementation entraînerait aussi et sans aucun doute des défis importants pour les Nigérians. Le débat entre les parties prenantes devra à présent passer de la déréglementation du secteur à la recherche de solutions concrètes pour relever ces défis.
Ces solutions ne peuvent émaner que de la volonté collective de toutes les parties prenantes, car le véritable défi auquel est confronté le gouvernement est de gagner la confiance de la population. Les travailleurs nigérians souffrent et leurs moyens de subsistance sont en danger. Les travailleurs veulent ainsi être assurés que le gouvernement dispose d’un plan réaliste. Mais le défi se posera lorsque les prix du pétrole remonteront et que le gouvernement sera appelé à mettre en œuvre rapidement des programmes post-subventions. Une certaine forme de protection sociale doit être lancée immédiatement pour protéger les plus vulnérables, y compris des mesures visant à réduire le coût des transports publics à court terme. Une autre question se pose alors : est-ce le bon moment pour une telle réforme, compte tenu des effets de la pandémie et de la récente augmentation des tarifs de l'électricité sur le consommateur nigérian déjà mis à rude épreuve ?
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