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La verticale Afrique - Méditerranée - Europe dans le Triangle Stratégique Afrique - Europe -Amérique Latine

Fathallah Oualalou | May 28, 2018

Cette intervention vise à montrer la pertinence d’un partenariat rénové entre l’Afrique et l’Europe consacrant la centralité de la Méditerranée, à travers la construction d’une verticale Afrique – Méditerranée – Europe, AME. Une verticale qui fait partie du triangle stratégique Afrique – Europe – Amérique Latine, AEA, objet de notre conférence.

La dynamique de la mondialisation impose, aujourd’hui, la promotion de ce triangle. Elle sécrète, en effet, la régionalisation, c’est-à-dire l’intégration des Etats-nations sur le plan économique à des ensembles ou sous-ensembles régionaux, capables de répondre aux exigences de la mondialisation.

L’économie se mondialise et  se « multipolarise » dans un même mouvement. Trois grands pôles, représentant aujourd’hui des modes d’intégration régionale différents, imposent leur emprise dans le monde : l’Amérique du nord, autour d’une logique commerciale libre-échangiste, mais contestée par son noyau central, les Etats-Unis de Trump ; l’espace asiatique dont le façonnement s’est construit à travers des réseaux d’interdépendance industrielle pilotés, au départ, par le Japon, et depuis le début du siècle, par la Chine ; et enfin, la communauté européenne qui a réussi à construire une intégration régionale, fondée  à la fois sur le libre-échange et sur des politiques de solidarité sectorielle, mais qui s’essouffle aujourd’hui et pourrait être dépassée par les deux autres pôles.

L’Europe, pour reprendre l’initiative et se doter d’un nouveau souffle, doit travailler pour retrouver plus de cohérence entre ses composantes. Et, à partir de là, s’ouvrir sur ses proximités : proximité géographique  avec la Méditerranée et l’Afrique, et la proximité culturelle avec l’Amérique Latine.

C’est dans cette logique que se situent le triangle stratégique AEA et son pivot, la verticale AME. Sa réalisation contribuera à promouvoir la multipolarité et à réduire les excès dévastateurs de la mondialisation, en vue de dépasser ses asymétries et construire une mondialisation partagée.

Il est important de placer cette logique dans le cadre de l’évolution de la mondialisation depuis sa genèse jusqu’à son devenir, relever l’intérêt de l’Afrique au XXIème siècle dans le monde, les limites des partenariats de l’Europe avec les espaces euro-méditerranéen et subsaharien et montrer tout l’intérêt accordé, aujourd’hui, à l’Afrique par les grandes puissances, l’Europe, les Etats-Unis et, surtout, les économies asiatiques émergentes, Chine en tête.

UNE DONNEE HISTORIQUE PRELIMINAIRE : 

LE TRIANGLE ‘’AEA ‘’ ET LA VERTICALE ‘’AME’’ SONT DES COMPOSANTES DE LA MONDIALISATION

La mondialisation est née dans ce triangle Afrique – Europe – Amérique Latine quand, au XVème siècle, les Européens ont quitté la Méditerranée à la conquête de l’Atlantique. La première initiative était portugaise, et son point de départ, la ville marocaine de Sebta (Ceuta), conquise par les Portugais en 1415 (elle sera « offerte » à l’Espagne en 1668). C’est à partir de Sebta que les Portugais ont installé villes et comptoirs sur les côtes atlantiques marocaines. Après une expédition qui a échoué sur Tanger en 1437, ils se sont installés à Ksar Essaghir (1458), Tanger et Asilah (1471), Mazagan (1485), Safi (1488), Santa Cruz de Cabo de Gué – Agadir (1505), Mogador (1506), Maamoura, Anfa et Azzemour(1515).

Malgré la rupture de la Bataille des trois rois (1578), c’est à partir du Maroc que les vaisseaux portugais sont partis à l’abordage de l’Afrique (Cap vert, Angola et Mozambique), de Bahreïn et Oman, d’ Ormuz, en Iran, avant d’atteindre Malacca, Timor, Macao et Nagasaki. En direction des Amériques, le Portugal s’est installé à Madère, aux Açores, avant de conquérir au Brésil.

Les conquêtes espagnoles ont commencé plus tard, avec la découverte du nouveau monde par Christophe Colomb (1492). Cette domination durera trois siècles : Caraïbes, Amérique centrale, Mexique, sud des Etats-Unis et l’ensemble de l’Amérique Latine jusqu’à l’Argentine. 

A cette époque, le triangle ‘’AEA’’ constituait le point de départ de la mondialisation. Le commerce des esclaves était déjà un commerce triangulaire. Le flux des métaux précieux du XVIème et XVIIème siècles inaugurait la période mercantiliste qui donnera naissance au capitalisme. 

C’est grâce à la Grande Bretagne, berceau de la révolution industrielle, que l’Europe gardera l’initiative de la mondialisation jusqu’à 1914, date à partir de laquelle les Etats-Unis ont acquis une position de leader dans la marche de l’économie mondiale.

La mondialisation  est aujourd’hui pilotée par les Etats-Unis et la Chine. Pour pouvoir reprendre sa place dans le monde, l’Europe, qui connait un recul,  relatif certes, économique et, surtout, démographique, doit construire des partenariats avec la proximité, la Méditerranée et l’Afrique, d’une part, et l’Amérique Latine, d’autre part. C’est dire qu’elle ne peut plus prendre toute seule l’initiative, comme par le passé, dans un monde devenu multipolaire. Il est de son intérêt qu’elle s’ouvre sur la Méditerranée et l’Afrique, dans une logique de verticale, et sur l’Amérique Latine, pour construire ce triangle stratégique.

CINQ DONNEES A PROPOSER :

Le XXIème siècle sera celui de l’Afrique

L’Afrique sera tout au long de XXIème siècle, c’est certain, au centre des préoccupations du monde, et notamment des grandes puissances. La raison première de cet intérêt tient aux considérations démographiques. En effet, le rapport de l’ONU sur les tendances démographiques, publié en juin 2017, prévoit une augmentation de 30% de la population  mondiale à l’horizon 2050 (elle atteindra alors le chiffre de 10 milliards d’individus (et 11,8 milliards en 2100), contre 7,55  milliards aujourd’hui) et c’est, en Afrique, que la progression démographique sera la plus importante. A la fin de notre siècle, la part de  l’Afrique dans la population mondiale passera de 17%, aujourd’hui (1,2 milliard), à 40% (4,4 milliards), alors que la part de l’Asie se réduira à 43%, en 2010, contre 63%, aujourd’hui. Plus de la moitié de  la croissance démographique dans les trente prochaines années sera concentrée dans dix pays, dont six africains  (Nigeria, Ethiopie, République centrafricaine, Tanzanie, Ouganda et Egypte). Et c’est, en Afrique, que l’urbanisation connaitra une grande accélération. Par ailleurs, la démographie africaine est caractérisée par la jeunesse de sa population. Aujourd’hui, 44% de celle-ci ont moins de 14 ans. En 2050, ils seront encore 32%.

Cette accélération démographique sera à l’origine des grands défis qui attendent l’Afrique : en matière de besoins alimentaires, de lutte contre la pauvreté, et de mise en place de sentiers pour le développement du continent.

L’Europe voisine, séparée de l’Afrique par la Méditerranée, est interpellée par ce même défi, car le devenir de celle-ci la concerne directement.

Malgré ses atouts en matières premières, en hydrocarbures et en terres arables, l’économie des pays africains reste fragile. Selon la Banque mondiale, la part de l’informel, est de 80% en Afrique subsaharienne. L’agriculture intervient encore pour 25 à 32% du PIB, alors que le secteur secondaire n’en dépasse pas les 10% et atteint, à peine, 15% dans les pays à revenu intermédiaire. Le reste est constitué par les services et, pour l’essentiel, par l’informel.

La crise des refugiés et la pression des immigrations illégales ont incité l’Allemagne de Madame Merkel, à l’occasion de la réunion du G20 de mai 2017, à lancer une réflexion nouvelle sur la question du développement de l’Afrique. Elle a, en effet, pris conscience de l’intérêt d’une ouverture sur l’Afrique dont elle s’était détournée, il n’y a pas si longtemps. Rappelons que c’est la locomotive allemande qui avait tiré l’ensemble de l’UE vers l’Europe orientale, l’éloignant de la Méditerranée  et de l’Afrique.

La tenue du Sommet euro-africain, en novembre 2017 à Abidjan, en Côte d’Ivoire, a été une bonne opportunité pour faire le point des différents partenariats entre l’Union européenne   et les pays ACP – Afrique, Caraïbe, Pacifique. Cela a permis au président français Emmanuel Macron de relever la nécessité de rénover les rapports entre l’Europe et l’Afrique. Mais, ce sont les questions de sécurité et de migration qui ont retenu l’attention des Européens durant ce Sommet.

Un bilan mitigé du partenariat euro-méditerranéen

Mis en place, dès 1969, par les accords conclus entre la CEE, le Maroc et la Tunisie, élargi dans les années 1970, dans le cadre de la politique méditerranéenne de l’Europe des 9, puis des 15, à l’ensemble des PSEM, le Partenariat euro-méditerranéen devait connaître un élan qualitatif à l’occasion de la conférence de Barcelone (1995), élan insufflé par  l’optimisme créé par les conférences de Madrid et d’Oslo sur la paix au Moyen Orient.

Son objectif était ambitieux :

- Sur le plan politique, instaurer un espace de paix et de stabilité avec l’engagement de tous de promouvoir les valeurs de la démocratie et  des droits de l’homme ;

- Sur le plan économique, mettre en place une aire de prospérité partagée par le biais d’une zone de libre-échange à l’horizon  2010.

- Dans le domaine culturel et humain, œuvrer pour la reconnaissance des cultures, la promotion des  échanges entre jeunes et les sociétés civiles.

Dans cette approche, les PSEM ont conclu avec Bruxelles des accords bilatéraux d’association avec comme objectifs la promotion de la croissance, la réduction des inégalités et l’évolution de ces pays vers une véritable convergence avec les normes européennes.

Très rapidement, avec le blocage du conflit moyen oriental, après l’arrivée au pouvoir de Netanyahou, en Israël, la dimension politique du partenariat a perdu son intérêt. 

La multiplication des tensions au Moyen Orient, et les offensives multiples d’Israël contre les Palestiniens ont conduit l’UE à s’éloigner, de fait, du dossier de la paix. Au Maghreb, les contradictions entre le Maroc et l’Algérie sur la question du Sahara, et la fermeture des frontières entre les deux pays ont mis fin à tout espoir de relance du projet maghrébin. Dans la région sud-méditerranéenne, certains régimes politiques devenaient de plus en plus autoritaires et tournaient le dos à toute tentative de réforme.

On s’éloignait, ainsi, d’une année à une autre, de l’esprit qui prévalait lors de la mise en place du partenariat euro-méditerranéen. Et ceci préparait objectivement les conditions qui ont conduit aux contestations  du « printemps arabe », à partir de la Tunisie, et qui ont conduit à des situations de chaos avancé dans toute la zone de la Libye à la Syrie.

En 2004, face à un bilan économique des accords pour le moins mitigé, l’UE a envisagé de reformuler le processus euro-méditerranéen, en proposant une vision nouvelle dans laquelle seraient intégrés tous les pays méditerranéens ainsi que l’ensemble des pays se trouvant à la frontière orientale de l’UE. C’est dans ce cadre qu’elle a conçu ce qu’elle a appelé « la politique européenne de voisinage » - PEV, une PEV qui tentait d’approfondir la politique euro-méditerranéenne, en proposant aux pays associés une intégration plus prononcée avec enrichissement de la dimension politique du partenariat. La nouvelle formulation insiste sur l’engagement mutuel de tous les pays autour de valeurs communes telles la démocratie et l’Etat de droit. Elle met en relief l’amélioration de la bonne gouvernance et la promotion d’un certain nombre de principes en  matière économique : l’économie du marché, le libre-échange, le développement durable et inclusif.

En réalité, ces principes ont été affirmés dans tous les accords bilatéraux, mais on n’est pas arrivé à fixer les instruments de leur implémentation. On relèvera, cependant, des avancées dans le domaine sécuritaire entre l’UE et les PSEM, notamment dans le cadre 5+5, qui rassemble les pays du Maghreb à ceux  du sud de l’Europe. Ceux-ci, comme les autorités de Bruxelles, semblent accorder plus d’intérêt au contrôle des flux migratoires et , bien sûr, à la lutte contre le terrorisme.

Plus de deux décennies, après, la tenue de la conférence de Barcelone, le bilan du partenariat euro-méditerranéen reste ambigu, même si des deux côtés on se félicite de l’existence d’un cadre qui continue à rassembler l’UE aux PSEM et même si un pays, comme le Maroc, a acquis, en 2008, le statut d’associé avancé.

Sur le plan économique, le processus de partenariat n’a pas permis une réduction des asymétries au sein de la Méditerranée : le rapport des PIB par habitant reste de 1 à 10, entre les deux rives de la Mare Nostrum.  

Face à toutes ces limites reconnues, le Président Sarkozy a lancé, en juillet 2008, l’Union pour la Méditerranée, un projet qui est resté à l’état embryonnaire, même s’il appelle à des dialogues dans les secteurs de l’agriculture, de l’énergie, de la formation et de l’environnement.

Les limites des partenariats Europe-ACP face à la problématique du développement

Les accords ACP de partenariat économique de l’Europe avec les pays subsahariens ont été conclus à Cotonou, au Bénin, en 2000, et revisités au Luxembourg, en 2005, et à Ouagadougou, au Burkina Faso, en 2010. Leurs précurseurs sont les accords de Yaoundé (Cameroun),  de 1963 et 1969, et de Lomé ( Togo), de 1975, avec les pays ACP.

C’est, en effet, en 1963 que la CEE a proposé aux pays EMEA - Etats africains et Malgache associés- la mise en place d’un nouveau lien avec les anciennes colonies francophones.

Dans le sillage de la décolonisation, les deux premiers fonds européens de développement – (FED)  étaient dédiés aux infrastructures. Le cadre ACP devait intégrer à Lomé les anciennes colonies britanniques,  à la suite de l’adhésion de la Grande Bretagne  à la CEE (1972).

C’est, sous l’influence britannique, que la convention de Lomé I a introduit l’accès préférentiel au marché européen des produits agricoles des ACP (café, caco, sucre, arachide, huile de palme, banane, etc.). Plus tard, à l’occasion du 4ème FED, on a créé le STABEX, système de stabilisation des recettes d’exportation devant protéger les économies ACP des fluctuations des cours des matières premières.

A partir de 2000,  les accords de Cotonou tentaient de rénover le partenariat en le centrant sur la réduction, à terme, de la pauvreté dans le sens des objectifs du millénaire  pour le développement.

La convention, renouvelée en 2005 et 2010, redéfinit l’objet du partenariat euro-africain : une croissance économique soutenue, la promotion du secteur privé, l’intérêt accordé à l’emploi, l’amélioration de l’accès aux ressources productives, et le soutien des investissements dans les infrastructures.

La nouvelle approche cherche à lier le développement économique à la coopération à l’intérieur des régions, et entre elles. Elle encourage, dans l’esprit de l’OMC, les intégrations régionales africaines : le CEEAC la CEMAC (Afrique centrale) et la CEDEAO (Afrique de l’Ouest). A l’intérieur des régions, l’objectif est de promouvoir la libre circulation des populations, des biens, des capitaux, des services, d’accélérer la diversification des systèmes productifs, de coordonner et harmoniser les politiques régionales et sous régionales, et de promouvoir les échanges inter et intra-ACP et avec les pays tiers. A partir de 2008, les pays ACP devaient renégocier les accords avec l’UE, dans le cadre des régions auxquelles ils appartiennent.

L’actuel FED couvre la période 2014-2020. Le partenariat revisité insiste sur la nécessité des réformes macro-économiques et structurelles, le développement social, culturel et humain, et s’ouvre sur des questions thématiques (genre, sida, environnement, changement climatique).

Enfin, sur le plan politique, le partenariat euro-ACP accorde de l’importance au dialogue politique sur les questions des droits de l’homme, l’Etat de droit, et la bonne gestion des affaires publiques. Il appelle à des actions communes de toutes les parties pour lutter contre le terrorisme, la prolifération des armes de destruction  massive, et la gestion des questions d’immigration.

En novembre 2015, face à la pression des flux migratoires, le Sommet européen de la Valette a conduit les Européens à accorder la priorité au contrôle de l’immigration, devenue une question centrale, dans les rapports avec les pays africains.

L’UE a, dans ce cadre,créé « un fonds fiduciaire d’urgence », doté de 1.8 milliard d’euros, pour favoriser la lutte contre les migrations illégales. Ce fonds devait se déployer depuis l’Afrique du nord, les régions du Sahel et le lac Tchad jusqu’à la Corne de l’Afrique, pour alimenter diverses actions en faveur de l’emploi, de la sécurité alimentaire, de la gestion des immigrations, du  contrôle des frontières et  de prévention des conflits.

Malgré quelques améliorations observées, ici et là, en matière de performances économiques, depuis le début du siècle,  le bilan de toutes ces actions est faible.

A l’origine de cette  contre-performance, il y a, en grande partie, l’impact de l’ouverture de l’Afrique sur les économies émergentes, la Chine en tête. La pression migratoire, par contre, continue de s’accentuer, favorisée par l’instabilité politique qui s’est installée le long du littoral méditerranéen.

Une décennie de stagnation en Méditerranée : l’impact de la crise au nord et de la déstabilisation politique au sud.

Depuis 2007, l’espace méditerranéen est traversé par une onde dévastatrice qui a affecté toutes les économies du nord et du sud et a accentué les perturbations du fonctionnement  des partenariats Nord-Sud.

En Europe, c’est la crise économique et financière, qui, venant des Etats-Unis, s’est installée durablement. Depuis 2008, presque une décennie de récession, de stagnation, de chômage massif, suivis de surendettement des économies, de déséquilibres des comptes publics et extérieurs.  Les pays européens concernés par ces dégradations se situent, pour l’essentiel, au sud du continent : Grèce, Espagne, Portugal, Italie et France. Ces pays sont considérés mal gérés en termes macro-économiques, et souffrir d’un manque de réformes structurelles. Par contre, l’Allemagne et les pays nordiques, connus pour leur gestion vertueuse, ont traversé la période de la crise avec plus de sérénité. Les défaillances des économies du sud de l’Europe ont même failli affecter les équilibres fondamentaux de l’intégration européenne, avec la crise de l’Euro surgie en 2014-2015, en raison  des défaillances grecques.

L’inertie, prononcée, des économies européennes les a conduits à une baisse de leur demande aux pays sud-méditerranéens et africains, avec des effets néfastes pour ces derniers sur leurs exportations, leur tourisme, les transferts  de leurs émigrés.

Les contraintes de la crise en Europe  ont fait oublier à cette dernière ses intérêts politiques en Méditerranée, notamment pour la paix au Moyen-Orient, ses engagements pour accompagner les pays africains et sud-méditerranéens à surmonter leurs contraintes économiques et à s’attaquer à leur surendettement, à la pauvreté et à l’exclusion.

L’Europe, du fait de sa proximité géographique, a été directement touchée par l’instabilité qui s’est installée, depuis 2011, dans le pourtour sud méditerranéen et au Sahel. Cette instabilité, qui a engendré insécurité et guerres civiles depuis la Libye, la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan jusqu’au Sahel, a été à l’origine d’un transfert des pratiques terroristes vers les grandes villes européennes, de l’arrivée massive de réfugiés qui viennent se surajouter aux flux migratoires en provenance de l’Afrique, lesquels se sont intensifiés depuis que le chaos politique a disloqué plusieurs entités nationales.

La crise économique, le terrorisme, les flux des refugiés et d’émigrés, constituent un défi dévastateur pour le modèle politique et social des pays européens. 

Ces éléments ont favorisé  l’émergence du populisme politique, la montée de l’extrême droite et le Brexit.

Au sud de la Méditerranée, un élan de contestation a déferlé, à partir de la Tunisie, fin 2010 (le printemps arabe), sur beaucoup de pays de la région. C’est une contestation politique contre l’absolutisme, la mainmise des partis uniques et des dictatures, souvent militaires, qui ont étouffé, pendant des décennies, toute tentative de démocratisation des systèmes politiques. 

Et c’est une contestation de l’ordre économique qui a favorisé la généralisation de la corruption, la mal gouvernance, et  la prédominance de la logique rentière, dans les systèmes de production et de répartition. 

Il est clair que globalement, ces contestations ont eu des effets néfastes sur la région. Le « printemps arabe » s’est transformé en un « hiver lugubre » pour beaucoup de pays : guerres civiles, antagonismes religieux sans issue, dislocation de l’unité des entités nationales (Libye, Syrie, Irak, Yémen),  installation de foyers de radicalisme terroriste dans le Sahel africain.

Si les questions sécuritaires liées à la montée du terrorisme ont tendance à se mondialiser, elles imposent  à l’Europe, la Méditerranée et  l’Afrique, du fait de l’élément de proximité, d’œuvrer ensemble pour créer des conditions de paix et de stabilité. Ensemble, elles doivent réfléchir aux véritables causes de ces dérives, réflexion qui doit aboutir à mettre en relief la nécessité de mettre fin aux injustices, quelle que soit leur forme, et s’attaquer véritablement à la problématique du développement. 

L’inertie des rapports Nord-Sud en Méditerranée n’est pas étrangère au déclenchement des contestations dans le monde arabe. Elle a participé, à côté bien sûr des considérations locales, à bloquer les perspectives de croissance des économies du sud, et a été à l’origine de nombreux problèmes sociaux dont celui de l’emploi des jeunes. Le cas du jeune Tunisien Bouazizi, qui s’est immolé par le feu - cet évènement  a été le point de départ de ce qu’on a appelé le printemps arabe – en est un exemple patent. Il peut (et doit) être analysé comme une contestation de l’ordre nord-sud qui s’est installé depuis la fin des colonisations, dans l’espace euro-afro-méditerranéen.

Dans la région sud-méditerranéenne, la réponse des systèmes politiques a été différenciée : celle du Maroc a été une réforme constitutionnelle devant ouvrir des perspectives pour plus de démocratie et un meilleur partage des pouvoirs ; celle de la Tunisie a été une véritable révolution politique qui a conduit à l’émergence d’un nouveau système pluraliste et ouvert ; celle de l’Egypte a été la montée des forces conservatrices, suivie par un retour à un système centralisateur.  Ailleurs, on a assisté à la montée du radicalisme terroriste, des antagonismes religieux, des guerres civiles avec des tendances à la dislocation de l’unité des entités nationales, ce qui a favorisé l’intervention des grandes puissances mondiales et régionales. Aucune de ces situations n’est véritablement favorable à un fonctionnement serein des partenariats entre l’Europe et le sud de la Méditerranée.

On remarquera, cependant, que quand la crise économique et financière s’est déclenchée en 2008, les économies rentières productrices d’hydrocarbures et de matières premières, vivaient  une phase de réelle euphorie, les cours, grâce à la demande toujours soutenue des pays émergents et de la Chine, caracolant à des niveaux jamais atteints. Cela avait conduit certains Etats, et quelques analystes, à en déduire que l’espace sud méditerranéen et l’Afrique ont démontré une vraie capacité de résilience face à la crise. Mais, la chute des cours de pétrole et des matières premières, intervenue en 2014, à la suite de la baisse relative du rythme de la croissance chinoise, a révélé la fragilité de tous les systèmes productifs dont le dynamisme est fondé sur les exportations des matières premières.

Depuis 2014, à nouveau beaucoup d’économies africaines doivent gérer l’impact des baisses de leur performance et du retour des déséquilibres internes et externes, voire les problèmes du surendettement.

l’Europe n’est plus en situation de monopole en Afrique

Si la proximité géographique, et les liens tissés par l’histoire, lors de la période coloniale, ont permis à l’UE de rester encore le premier partenaire de l’espace afro-méditerranéen, celui-ci est aujourd’hui l’objet de compétition en raison de l’intérêt que lui accordent la Chine ainsi que d’autres pays émergents et, bien sûr, les Etats- Unis d’Amérique.

1- La Chine, premier partenaire de l’Afrique

En moins de 40 années, la Chine est passée du stade d’un pays en développement, à celui d’une économie émergente, puis d’une grande puissance mondiale.

Depuis, son adhésion à la politique de réforme et d’ouverture, lors des années 1980, la Chine, devenue l’atelier du monde, a renforcé ses liens avec l’Afrique, notamment par l’achat de ses matières premières. Elle est devenue, pour beaucoup de pays africains, le premier partenaire économique en matière d’échange, d’IDE, de réalisation des programmes d’infrastructures et d’aide financière et technique touchant l’ensemble des secteurs : agriculture, formation, culture, etc.

Les rapports sino-africains, fondés pendant la période maoïste, sur les considérations politiques, voire idéologiques, répondent, désormais, à des impératifs économiques liés aux intérêts de l’économie chinoise dans son évolution dynamique, et doivent contribuer au développement des économies africaines, dans le cadre de l’approche gagnant-gagnant.

Depuis le début du siècle jusqu'à 2014, les progrès économiques réalisés par la Chine ont fait sortir beaucoup d’économies africaines de leur stagnation. Grâce à la demande chinoise, le taux de croissance moyen dans le continent a dépassé les 5%. Il est supérieur à 7% pour les pays producteurs des hydrocarbures et de matières premières.

A l’occasion du deuxième forum de coopération sino-africain (FCSA) de Johannesburg, (décembre 2015), le président Xi Jinping a annoncé l’accroissement de l’aide chinoise à l’Afrique à des niveaux jamais égalés : 60 milliards de dollars dont 5 sous forme de prêts sans intérêts et 35 de prêts concessionnels. Il a annoncé, également, l’octroi aux pays africains de crédits destinés à financer dix grands projets de coopération dans les domaines de l’agriculture, de l’industrie, de la lutte contre la pauvreté, de la culture, de la sécurité, de la protection de l’environnement et de l’économie verte.

Cette initiative vise à compenser la chute  des IDE chinois en Afrique (chute supérieure à 14% en 2015), et la réduction des importations chinoises (qui a dépassé les 40% cette même année).

A côté de ces propositions en matière de financement, la Chine a décidé d’accompagner le processus d’industrialisation de certaines économies africaines, dans le cadre d’une approche de co-production et même de délocaliser  certaines activités. Cela reflète, par ailleurs, le passage de l’économie chinoise à un nouveau modèle de développement fondé sur le marché domestique, la hausse des salaires, l’économie des matières premières, l’utilisation des technologies très avancées et la promotion de l’économie verte.

Plus généralement, ce nouveau partenariat intègre la logique de la stratégie de « la route et la ceinture », annoncée par Xi Jinping en 2014. Cette nouvelle  « route de  la soie »  passe par l’Afrique pour aboutir à la Méditerranée et l’Europe, et traverse Djibouti, l’Ethiopie, le Kenya, jusqu’au canal de Suez, en direction de l’Egypte, Al Hammadia, en Algérie, et Tanger (ville Mohammed VI), au Maroc. Ses bases épousent exactement la verticale Afrique- Méditerranée- Europe.

Le Maroc, de par son statut d’associé au cadre euro-méditerranéen, et son ouverture sur le continent africain, intègre à la fois la logique de la verticale et celle de la stratégie de « la ceinture et la route ».

Dans le sillage de la Chine, d’autres pays asiatiques (Japon, Inde, Corée du Sud) et/ou émergents (Brésil) ont accentué, à leur tour, leur intérêt pour le continent africain. L’Afrique est devenue un sujet de compétition entre les nouvelles forces montantes et les pays développés traditionnels.

2- Le Japon, l’Inde ainsi que d’autres pays émergents, renforcent leur présence en Afrique

Le Japon a toujours eu, en Afrique, une coopération discrète mais efficace. Bien avant la Chine, il a créé, pour cela, un instrument, la Conférence internationale de Tokyo sur le développement en Afrique – TICA qui, depuis 1993, se réunit tous les cinq ans, puis, depuis 2006, tous les trois ans. Les pouvoirs publics nippons tiennent à faire participer à cette conférence des organismes internationaux, tels que l’ONU, la Banque Mondiale et la BAD. Pour eux, le but de cette coopération est d’améliorer qualitativement le processus de développement en Afrique, faciliter le transfert des technologies, le savoir-faire, favoriser le self help et accompagner les politiques publiques des pays africains, notamment dans l’agriculture et la santé.

Le Japon est considéré comme le cinquième donateur en Afrique en matière d’aide bilatérale , par l’intermédiaire de l’Agence de coopération internationale du Japon, la JICA. Il cherche à promouvoir les IDE, évalués à plus de 10,5 milliards de dollars, en 2014, réalisés par 500 entreprises. Le Japon achète à l’Afrique essentiellement des matières premières : rhodium, platine, palladium, chrome, manganèse et hydrocarbures. Enfin, le Japon intervient dans le domaine de la sécurité et, surtout, dans la lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden.

L’Inde cherche, dans sa compétition avec la Chine, à renforcer sa présence dans le continent africain. Comme la Chine, elle a tissé, dès les années 1950, des rapports avec l’Afrique, fondés sur des considérations politiques : le tiers-mondisme et le non-alignement. L’Inde a été, avant même son indépendance, un exemple pour beaucoup de leaders nationalistes africains dans leur combat pour l’indépendance . C’est en Afrique du sud que Gandhi a inauguré sa lutte pacifique contre le colonialisme britannique. L’Inde possède, depuis, un relai humain particulier en Afrique, représenté par une diaspora forte de 2,7 millions de personnes.

Le gouvernement indien a réuni, en octobre 2015, le troisième Sommet afro-indien pour donner un nouveau souffle au partenariat entre les deux parties. A l’instar de la Chine, l’Inde s’intéresse aux matières premières africaines (hydrocarbures, produits minéraux, or) et cherche à écouler sur les marchés africains des produits pharmaceutiques (médicaments génériques), des automobiles et à élargir sa présence dans les secteurs des services (télécom et nouvelles technologies de l’information).

D’autres pays émergents renforcent, également, leur présence en Afrique. Il s’agit, essentiellement, en Asie, de la Malaisie, de Singapour, de la Corée du sud, de l’Indonésie, des Emirats Arabes Unis et de la Turquie, et du Brésil, en Amérique latine.

3- Les Etats-Unis et l’approche commerciale 

Les Etats-Unis semblaient accompagner, avec beaucoup de sympathie, au début des 1960, sous la présidence de Kennedy, le processus de décolonisation de l’Afrique, Afrique du nord et  Afrique subsaharienne. Cette position devait les conduire à réduire l’influence des anciennes métropoles européennes, comme cela a été le cas  au Moyen-Orient.

Mais, très rapidement, la logique de la Guerre froide avec l’URSS a conduit les Etats-Unis d’Amérique à prendre position contre les forces progressistes qu’ils considéraient « influencées » par les  Soviétiques et les Chinois.

Adoptée en 2000, puis prorogée en juin 2015, jusqu’à 2025, l’Africain Graw and Opportunity Act - AGOA constitue la référence essentielle des rapports d’échanges entre les Etats-Unis et les pays subsahariens d’Afrique. Elle permet d’accorder une  exonération des droits de douane pour presque tous les produits exportés par les Etats subsahariens - ASS. Les avantages concernent 37 pays ASS et portent sur 4.600 articles profitant du statut d’exonération de préférences généralisées. 

AGOA offre, par ailleurs, des opportunités réelles aux entreprises et organisations commerciales pour tisser des relations de travail avec leurs homologues américaines. C’est un gage de sécurité pour les exportateurs ASS et les investisseurs potentiels américains.

Pour les Américains, les relations commerciales ouvrent la voie au développement : pour eux, l’aide ne doit  pas être considérée comme un élément central de leurs relations avec les pays pauvres et en développement : « trand no aid ». Certes, sous la direction du Président Bush, des crédits de 48 milliards de dollars ont été alloués à la lutte contre le sida qui affecte le continent.

Bush a créé le MCC dont la facilité accordée  à tel ou tel pays était conditionnée au respect de critères de gouvernance. Mais, les contraintes liées à la crise économique de 2008 ont tari les flux de l’aide. 

Néanmoins, le Président Obama multipliera les actions pour faire avancer les objectifs commerciaux des Etats-Unis en Afrique. Ainsi, il a lancé :

- en 2009, dans le cadre du G8  d’Acquitta, l’initiative alimentaire Feed the future avec un engagement de 3,8 milliards de dollars. Et en 2012, le privé a été appelé à s’y associer  dans le cadre de la New Alliance for Food Security and Nutrition ;

- l’initiative « Power-Africa », pour fournir de l’électricité à 60 millions de foyers et d’entreprises, en association avec le privé. Cette initiative devait accompagner un programme de formation de jeunes (Youg African leaders initiative) ;

- l’initiative Trade-Africa, avec l’ambition de convertir les trois ensembles régionaux africains en pôles  de commerce et d’investissement,

Les entreprises américaines étaient appelées à investir en Afrique. En 2014, le Président a organisé un forum sous la forme d’un sommet des Etats africains, dans lequel les entreprises américaines et africaines devaient inaugurer des actions d’affaires. Le Président Obama en a profité pour annoncer des investissements de quelques 33 milliards de dollars dans la logique de l’AGOA,  appelée à être élargie.

La partie américaine a profité de ce  sommet, qui s’est tenu à Washington,  pour insister sur les aspects de  paix et de sécurité. 

En Conclusion

L’Europe a perdu son monopole sur l’Afrique et la Méditerranée qu’elle possédait au lendemain des décolonisations. Le continent africain, devenu un centre d’intérêts, non seulement des Etats-Unis, mais aussi, et surtout, des puissances émergentes, Chine en tête. Mais, c’est l’Europe qui pourrait souffrir le plus des grands défis qui menacent l’espace afro-méditerranéen: le mal développement, la pauvreté, la pression de la progression démographique, l’insécurité et les déstabilisations politiques. Leurs impacts se répercutent directement sur elle.

L’adhésion de l’Afrique, dans son ensemble, à un processus de développement durable et serein est un salut pour elle-même bien sûr, mais aussi pour l’Europe, pour des raisons évidentes de proximité géographique.

Le XXIème siècle sera, dit-on, « Le siècle de l’Afrique ». L’Europe doit prendre conscience des atouts de ce continent.

A partir de 2017, la sortie de la crise est une opportunité pour l’Europe. Elle doit mettre fin à  son inertie, rassembler ses forces, renforcer son processus d’intégration avec cohérence et s’ouvrir sur son environnement du sud : la Méditerranée et l’Afrique. Il est vrai, malgré cette conjoncture favorable, l’UE n’arrive pas à dépasser ses défis (montée du populisme en Italie et en Europe de l’est, du séparatisme en Espagne, ambigüité de la situation politique en Allemagne).

Le phénomène Trump constitue, objectivement, une opportunité pour l’Europe. Sa détermination à réduire sa part dans le financement de l’OTAN, à quitter les accords sur le climat de Paris et sur le nucléaire iranien, à transférer l’ambassade américaine à Jérusalem, ainsi qu’à mener des guerres commerciales, qui visent, en partie, l’Europe, doivent inciter les pays européens à s’unir, à unifier leurs politiques diplomatiques et leurs stratégies de défense.

Il est de l’intérêt de toutes les parties : Europe, Méditerranée et Afrique de  créer une synergie entre les deux partenariats euro-méditerranéen et euro-afro-subsaharien. La construction d’une verticale Afrique-Méditerranée-Europe s’impose : c’est dans cette logique qu’il faut situer les réflexions menées ces dernières années par l’Institut de prospectives et d’étude du monde méditerranéens - IPEMED. 

Cette verticale permettra à la Méditerranée de ne plus être un simple lieu de passage, mais de retrouver une partie de sa centralité perdue avec la mondialisation.

L’Europe sera obligée de vivre avec l’immigration des flots de réfugiés qui fuient les conflits du Moyen-Orient et de l’Afrique et des migrants qui veulent échapper à la pauvreté.

Cette approche doit s’ouvrir sur la rénovation des partenariats de l’Europe avec les espaces afro-méditerranéens et dépasser les rapports liés aux échanges et à l’aide pour adhérer à une logique de co-production et de co-développement, permettant la diversification des tissus productifs en Afrique et en Méditerranée ; s’éloigner des logiques rentières pour promouvoir la  valeur du travail, une réelle révolution agricole, une émergence industrielle partagée avec l’Europe, et une bonne utilisation des acquis énergétiques et environnementaux. Tout ceci devra être mis au service d’un développement qui permette de répondre aux  défis de la progression démographique, de la montée des radicalismes, des risques d’insécurité et d’une gestion sereine de la question de l’immigration. 

Du côté du sud, les pays afro-méditerranéens doivent prendre conscience de la nécessité de réformer leur système de gouvernance et de fonctionnement, et de s’ouvrir sur la modernité dans sa globalité politique (démocratisation) culturelle et sociétale (la tolérance).

Des deux côtés de la Méditerranée, on doit œuvrer pour mettre fin aux injustices politiques (la paix au Moyen-Orient), permettre aux entités nationales de retrouver la stabilité et l’unité, mettre fin à la montée des radicalismes et aux antagonismes religieux

La coopération autour des problèmes de développent en Afrique doit   intégrer des logiques triangulaires. L’Europe peut et doit travailler en Afrique avec les autres puissances en présence : avec les Etats-Unis (logique échange), et avec la Chine (logique  sectorielle). La compétition ne doit pas entraver la rencontre des intérêts. Pour l’Afrique, diversification les tissus productifs passe aussi par  diversification des partenariats.

La logique de la verticale Afrique-Méditerranée-Europe rencontre nécessairement la logique chinoise de la stratégie de la ceinture et de la route.

Le Maroc est bien outillé pour répondre à la logique de la verticale : son statut d’associé avancé dans l’espace euro-méditerranéen, et son ouverture sur les pays africains subsahariens lui permettent d’être parmi les principaux relais entre les deux continents. La région de Tanger où la construction du port Med a permis à Renault d’y installer une usine de production de véhicules automobiles, et au groupe chinois Haîte d’y concevoir une plateforme industrielle, peut remplir cette fonction de relai dans la double logique de la verticale Afrique-Méditerranée-Europe et de la stratégie de la ceinture et de la route.

C’est par la construction de cette verticale AME, et son intégration dans le triangle AEA, que l’Europe pourrait reprendre l’initiative dans la grande marche de la mondialisation. Dans un monde devenu multipolaire, elle ne peut plus assumer cette initiative toute seule : elle doit le faire dans un cadre partenarial avec l’Afrique et l’Amérique Latine. Le triangle stratégique deviendra, ainsi, une composante crédible de l’économie mondiale et contribuera à dépasser la mondialisation asymétrique pour une mondialisation partagée.

(Lisbonne, 15 mai 2018)
 

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