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Le grand retour du Maroc à l’Union Africaine

Abdellah Saaf | February 27, 2017

Les liens du Maroc avec l’Afrique à travers différentes composantes n’ont jamais été rompus. Point n’est besoin de montrer leur enracinement dans l’histoire profonde. Mais les récents développements constituent un événement marquant et sans doute lourd de signification. Est-ce un élément de déclic, une victoire qui conclut un épisode diplomatique parmi d’autres, une normalisation, la réponse à des difficultés conjoncturelles, un booster, un point d’inflexion, un événement majeur ?

Une œuvre majeure

La réintégration historique du Royaume à l'Union Africaine vient d’être entérinée lors du 28iéme sommet de l’organisation panafricaine à Addis Abeba du 30 et 31 janvier 2017, à la quasi-unanimité des chefs d'Etat et de gouvernements africains, sur la base d’un argumentaire on ne peut plus simple: le Maroc est un pays africain, ayant ratifié l’Acte constitutif de l’organisation continentale, déposé ses instruments de ratification et qui, conformément à l’article 29 de l’Acte précité, dispose de l’appui d’au moins 28 pays. En effet, selon cette disposition, « tout Etat africain peut à tout moment après l’entrée en vigueur du présent Acte, notifier au Président de la Commission son intention d’adhérer au présent Acte et d’être admis comme membre de l’Union »… et l’admission « est décidée à la majorité simple des Etats membres ». Autour de quarante pays ont appuyé le retour du Maroc à la veille de la tenue du sommet, il fut finalement admis par consensus. C’est dire que le Maroc a fini par recueillir « un soutien franc et massif » selon les mots même du souverain pour retrouver sa place au sein de l'Union Africaine.

Il s’agit indéniablement d’une victoire d’envergure, qui a eu raison de diverses péripéties d’obstruction, d’opposition, d’indétermination. La volonté royale, comme un fleuve impérieux, a emporté tous les obstacles qui se dressaient sur son passage, débordant de tous côtés les velléités d’oppositions adverses: depuis l’oubli de communiquer la demande du Maroc par la présidente de la Commission africaine de l’Union Africaine, les multiples manœuvres en amont, la désinformation permanente et le fameux épisode du mémorandum de janvier 2017 comportant un avis juridique tentant de freiner la démarche marocaine.

Il est clair du point de vue du Maroc que la réintégration au sein de l’Union Africaine ne peut en rien être comprise comme une reconnaissance de la prétendue RASD. L’histoire atteste que l’une des spécificités du Maroc est de ne pas avoir été une création coloniale, mais un Etat qui puise ses racines dans une durée multiséculaire. Le droit international enseigne que l’appartenance d’un Etat à une organisation internationale où siégerait une entité qu’il ne reconnaît pas n’implique pas de reconnaissance de sa part pour cette entité, comme le montre en pratique l’exemple des pays arabes et musulmans vis-à-vis d’Israël au sein des Nations-Unies. Du reste, le Maroc gère la question de son intégrité territoriale au sein des instances onusiennes. A noter par ailleurs que pour l’heure, aucune demande d’exclusion n’a figuré dans la démarche marocaine de réintégration.

La réintégration du Maroc au sein de l’Union Africaine est une réalisation politique stratégique de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, une œuvre centrale et déterminante du nouveau règne. Pour l’observateur de la vie politique marocaine depuis l’avènement du souverain, la manière avec laquelle le souverain a patiemment construit la politique internationale du pays depuis quelques années est proprement impressionnante. Il s’agit bien d’une construction diplomatique qu’il a personnellement menée depuis son accession au trône.

Ce retour n’est point une nouvelle émergence du pays à l’Afrique comme le montre la longue histoire de ses relations avec l’organisation africaine, depuis le concept initial, jusqu’aux formes qu’elle a prises ultérieurement. En août 1960 déjà, feu le Roi Mohammed V, le grand père du souverain, recevant le Premier ministre congolais Patrice Lumumba, l’assurait du soutien inconditionnel du Royaume: « Vous êtes du côté du droit et de la justice qui finissent toujours par triompher ». Cette solidarité ne relevait pas des bons mots protocolaires, un vœu extérieur, des paroles de bienséance, une position purement formelle, mais l’expression d’un profond sentiment du pays pour les justes luttes africaines. En janvier 1961, Casablanca accueillait les chefs d’Etats africains qui adoptèrent à l’occasion la charte de Casablanca, prélude à la mise en place de l’OUA deux ans plus tard, événement auquel le Maroc prit part activement.

En novembre 1984, le Maroc quittait l’OUA après l’admission de la prétendue RASD en son sein. Dans le contexte de l’époque, le retrait de l'OUA semblait nécessaire. Le paysage qu’offrait alors le continent ne permettait pas de faire autrement. Déjà en 1982, la dite RASD est admise comme 51iéme membre de l’Organisation de l’Union Africaine, décision jugée illégale par le Maroc qui réussit à faire boycotter le Sommet de Tripoli par 24 pays parmi les 54 membres que comptait l’organisation. On peut comprendre les tenants et les aboutissants de la décision de Feu Hassan II de partir de l’organisation africaine. Le coût de ce départ était évidemment élevé : la diplomatie du pays a été mise dans une situation difficile pendant quelques 32 ans. Les diplomaties hostiles au Maroc ont eu champ libre à leurs vues et entreprises.

Le Maroc n’en a pas moins continué à gérer la situation à distance, ou depuis les coulisses et par amis interposés, avec des hauts et des bas. Par la suite, le corps à corps mené à distance devenait difficile au fur et à mesure que des Etats puissants du continent élevaient leur degré d’influence. Des observateurs, dont des amis du Maroc, ont adressé à diverses reprises des reproches à ce qu’ils avaient qualifié de « politique de la chaise vide » du Maroc. Des cartes officielles de l’Union Africaine ont même fini par effacer le territoire du Maroc du continent, y aménageant à l’inverse une place de choix à l’invraisemblable « république des sables », et noyant l’Afrique du Nord dans les immensités algériennes, et des postures symboliques pour les parties restantes du Maghreb.

Malgré tout, les rapports de force ne cessaient de changer sur le continent. De nouvelles situations de leadership politique se créaient: les difficultés de toute nature se dressaient pour la plupart, disparition de bon nombre de dirigeants africains, vieillissement et maladie des uns, contestations ou soulèvements d’autres, déstabilisations de régions entières, guerres civiles, conflits, troubles, changements institutionnels pour les autres. De nouveaux rapports de forces se sont établis au sein des pays pris un à un, comme à l’échelle régionale et internationale. De nouvelles problématiques politiques, économiques, sociales et culturelles, ont été priorisées. L’impact des résidus idéologiques ou des accointances politiques des décennies précédentes diminuait sensiblement.

Lorsqu’en juillet 2016 le Maroc annonça son intention de revenir au sein de l’Union Africaine, ce fut un tournant d’une grande portée. Le développement patient par le souverain des relations avec les pays africains en termes bilatéraux, n’avait permis à aucun observateur de prévoir la possibilité de cette réorientation. La demande marocaine représentait un changement d’orientation inattendu et fort en signification prenant tout le monde de court. Dans tous les cas, comme le montrent les premières réactions des parties adverses, les adversaires du Maroc ont bien été surpris par l’offensive diplomatique marocaine.

Le travail de renforcement des relations maroco-africaines

Après la sortie de l’organisation africaine, le Royaume est resté très proche de nombreux pays africains dans des circonstances variées difficiles, leur ami et allié selon le discours d’Addis Abeba. Les liens restés consistants permettaient de tisser des relations bilatérales significatives. Il s’est passé comme si la décision du Maroc de quitter l’organisation africaine a eu des effets positifs sur la consolidation des relations du Maroc avec le continent africain. Le Roi l’a fortement souligné lors du discours prononcé au lendemain de de la réadmission du Maroc au sommet d’Addis Abeba le 31 janvier dernier: « le retrait a permis de recentrer l’action du Maroc dans le continent ». Le fait d’avoir quitté les instances de l’Union Africaine en 1984 n’a pas empêché, a expliqué le souverain, « que jamais le Maroc ne s’est senti autant africain que quand il a quitté l’Union africaine », l’incitant à amplifier son action en faveur du développement du continent.

La totalité des dettes des pays moins avancés fut effacée il y a 16 ans. De même, furent levées les barrières tarifaires sur les produits provenant de pays du continent. Un dispositif conventionnel impressionnant a été élaboré au fil du temps. Le discours royal d’Addis Abeba en fait lui-même le décompte : « depuis l’an 2000, le Maroc a conclu, dans divers domaines de coopération, près d’un millier d’accords avec les pays africains… Entre 1956 et 1999, 515 accords avaient été signés, alors que depuis 2000, il y en a eu 949 », appareil conventionnel que le souverain a impulsé en personne à travers ses multiples visites dans les différentes sous-régions du Continent, (46 visites effectuées dans 25 pays africains). Le Maroc est aujourd’hui le deuxième investisseur en Afrique. A ajouter à cela, la question de la formation perçue comme le cœur de la coopération marocaine avec l’Afrique. Nombre de ressortissants africains ont pu poursuivre des études d’enseignement supérieur au Maroc, grâce aux milliers de bourses accordées.

Le Roi du Maroc a également misé sur de grands projets de portée stratégique. Une des expressions les plus significatives de cette démarche a été le projet de Gazoduc africain atlantique, initié par le souverain avec le président du Nigeria (Muhammadu Buhari). Ce projet devrait permettre l’acheminement du gaz des pays producteurs vers l’Europe avec des effets bénéfiques sur l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Autre ouvrage caractéristique de cet état d’esprit : la réalisation du projet de réaménagement de la Baie de Cocody à Abidjan dans le cadre d’un modèle inédit de coopération entre les entreprises publiques concernées, au Maroc et en Côte d’Ivoire, avec l’adhésion active du secteur privé des deux pays, etc.

La dimension sociale a été élevée au rang de grande priorité de la politique de coopération marocaine. Dans cette perspective, le pragmatisme, socle de la démarche africaine du Maroc, a incité à donner la priorité aux actions ayant un impact direct sur la vie quotidienne des populations : il exporte des médicaments, tout en construisant des laboratoires pharmaceutiques; il bâtit des établissements et centres de santé ; il réalise des infrastructures et centres de formation professionnelle et technique, met en œuvre des projets générateurs d’emplois et de revenus stables, à l’instar des expériences de villages de pêcheurs et apporte son soutien aux petits agriculteurs.

La teneur profondément humaniste des orientations définies par le souverain dans le continent peut être illustrée par la politique migratoire initiée par le souverain envers les populations africaines que la précarité a conduit, entre autres destinations, au Royaume. Le souverain est l’auteur d’une politique d’accueil généreuse inédite. Des actions confondantes de générosité, en faveur des immigrés, ont renforcé les liens d’ores et déjà constitués.

Il y a une continuité et une cohérence remarquables de la démarche royale par rapport à ses positions antérieures. Dans son discours d’Addis Abeba, le souverain a réitéré son intention de n’accorder aucun crédit à l’idée selon laquelle par cette forte implication, le Maroc ne viserait qu’à acquérir le leadership en Afrique : « certains, a-t-il affirmé, avancent que, par cet engagement le Maroc viserait à acquérir le leadership en Afrique. Je leur réponds que c’est à l’Afrique que le Royaume cherche à donner le leadership ». Le Maroc n’a pas fait siennes les doctrines de puissance régionale à la Bismarck. Le Royaume n’a cessé de réitérer sa volonté de rechercher la stabilité en Afrique la traduisant par une action effective sur le terrain: ainsi le pays a contribué à plusieurs opérations de maintien de la paix des Nations Unies en Afrique (six), déployant des milliers d’hommes (5000) dans les différents théâtres d'opération: les troupes marocaines, sont à ce jour, déployées en RCA et RDC en plus des médiations qu’il mène notamment par rapport à la Libye (les accords de Skhirat) et dans la région du Fleuve Mano.

Une foi en l’avenir de l’Afrique

La philosophie profonde qui meut le souverain sur sa stratégie africaine peut être rappelée ici. Lors du discours de la dernière commémoration de « la révolution du Roi et du peuple », le souverain a utilisé des paroles significatives. L’Afrique, n’est pas seulement un positionnement géographique et historique, mais davantage un attachement affectif, humain et spirituel, traduisible en relations de coopération et de solidarité concrètes. Prolongement naturel et profondeur stratégique du Maroc, elle ne peut être qu’au centre de sa politique étrangère.

Certes, le Royaume y est devenu un acteur non négligeable. La cause nationale reste sans doute au cœur de cette politique africaine directement menée par le souverain, mais elle est déclinée dans le cadre d’une vision stratégique d’ensemble où il considère que l’Afrique devrait être davantage confiante en elle-même. Le Roi veut œuvrer dans une coopération Nord-Sud où l'Afrique ne serait pas perçue comme un simple "gisement d'opportunités". Le souverain réaffirme en substance que les richesses de l’Afrique doivent lui profiter : "L’Afrique peut être fière de son potentiel humain, de ses ressources, de son patrimoine culturel, de ses valeurs spirituelles et l’avenir doit porter haut et fort cette fierté naturelle, envisager l'avenir de l'Afrique avec confiance et sérénité, en comptant sur ses propres richesses et les "bras" de ses citoyens. Proposer "modèle de croissance".

Le retour du Maroc au sein de l’Union Africaine marque donc une grande réalisation historique du souverain, d’une portée stratégique considérable sur plusieurs points de vue que l’analyse et la prospection doivent prendre en charge.

Penser la réintégration à l’Union africaine

Le retour introduit de nouveaux enjeux, de nouveaux défis et appelle de nouvelles postures. Comment définir ce retour ? Comment le penser, le gérer, le structurer ? Toujours est-il qu’on ne saurait, dans ce cadre, réduire le Maroc à l’affaire du Sahara.

Quelques observations appellent l’attention :

Le bilatéralisme s’est révélé être une voie féconde. Comme le souligne le discours royal, il s’agit de continuer à faire fructifier le travail entrepris au niveau bilatéral, de poursuivre ce travail patient. Les jalons sont déjà posés. Ce bilatéralisme a eu un impact sur l’évolution du paysage politique africain en faveur du Maroc. Le succès diplomatique doit autant à ce bilatéralisme actif, volontariste, transformiste, qu’aux mutations politiques survenues sur le continent.

Une nouvelle phase semble débuter : la force motrice portée par le bilatéralisme fondateur qui le liait fortement à de nombreux pays peut être consolidée par les perspectives du multilatéralisme qui sollicite la démarche marocaine. La nouvelle période qui s’ouvre après celle où avait primé le bilatéralisme peut inaugurer un nouvel élan marqué par le multilatéralisme. Il peut s’agir d’un nouveau départ sans devoir se substituer au bilatéralisme. Il s’agit pour le pays de trouver le mode d’action approprié pour ce multilatéralisme, et d’investir ses espaces, ses organes (ses instances, le parlement, la cour des droits de l’homme, etc..), ainsi que sa société civile, se réapproprier une littérature, un référentiel, des pratiques, une accumulation de vie institutionnelle et une culture organisationnelle.

La question se pose de savoir comment articuler tout cela sur une vaste stratégie de développement, d’émergence, de transformation structurelle, à travers une recherche de convergence des politiques publiques et des différentes visions à l’œuvre dans différents domaines dans la vie du pays.

Il est important de réfléchir à ce retour dans le contexte actuel où le concept de sécurité à l’échelle globale semble devoir être appelé à connaître des mutations significatives, marqué par la montée des gouvernances populistes d’un type nouveau. Dans les conditions actuelles, on ne sait si vont prévaloir l’isolationnisme ou l’implication plus grande, une ère marquée par le retour des souverainetés étatiques ou la défaite d’une certaine vision dominée par l’organisation internationale. Le caractère de période « transitoire » en ce début d’année 2017 est accentué. Ce retour exige donc du labeur à différents niveaux, une grande capacité d’adaptation, et de la patience. 

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