Covid-19 : Nécessité d’un Etat fort et souci des libertés individuelles ?
Que ne doit-on concéder de nos libertés pour être protégés du Coronavirus ? partout dans notre monde en détresse -même chez les plus libéraux- l’Etat est appelé à la rescousse, il est sollicité et, même, avec insistance. Il est le seul à pouvoir déployer les moyens nécessaires à nous sauver, et personne d’autre que lui n’est assez fort pour imposer la discipline salvatrice. Exit tous les autres acteurs, place à l’Etat. Silence et respect, le Régalien est de retour. Hobbes retrouve ses lettres de noblesse ; Lock et Rousseau doivent s’effacer ; aucune condition ne doit limiter le pouvoir du Léviathan, ou des Léviathans, chaque pays ayant le sien.
Qui d’entre nous, à moins d’être suicidaire, écoutera aujourd’hui les voix de ceux qui s’égosillent à crier à la liberté de circuler, de se rassembler, de s’exprimer ou encore d’avoir droit à une vie privée ? Echapper au virus et être libre deviennent deux notions incompatibles et leur liaison devient incestueuse. C’est l’heure des choix vitaux pour les sociétés. Obéir ou être livré au virus de destruction massive ? tels sont les deux seules options qui se présentent devant les populations. Aucune troisième voie n’est possible ; pas de tergiversation possible. Faites vos jeux, rien ne va plus. Et tous ont fait leurs jeux. Ils ont joué l’Etat et misé sur son pouvoir, sans conditions. la reddition est totale, entière et bien consentie. On verra si elle sera définitive.
Le Léviathan n’a pas de carotte, il n’a que l’épée et la crosse
Le Léviathan (Estampe d’Abraham Boss)
On parle souvent du bâton et de la carotte, quand on évoque les politiques des Etats, entre autres, face aux populations ? L’Etat punit et récompense. Cette image est valable en temps de paix. En temps de crise, celle du Covid-19 en l’occurrence, cette parabole est à oublier. Le Léviathan, appelé pour nous sauver du Coronavirus, n’a que son épée, pour tuer le virus ennemi, et sa crosse ; celle-ci est solide pour soutenir ceux qui obéissent aux ordres, recourbée pour rattraper ceux qui s'égarent et développent des visions subversives et pointue pour piquer ceux qui hésitent à se conformer à la stratégie du combat livré contre l’ennemi commun, le virus.
Aucune récompense autre que la vie sauve n’est négociable. Pas de carotte. Les humains appellent l’Etat, l’Etat répond mais ne discute ni des moyens ni des résultats. Il fera ce qu’il a à faire pour assurer la sécurité de chacun contre le virus ; mais chacun doit s’abstenir de discuter, de critiquer ou d’exiger un meilleur résultat que celui obtenu ; faute de quoi le Léviathan sera détourné de sa mission principale : Combattre la pandémie.
Si les individus veulent la sécurité, ils doivent la payer de leurs libertés. Contre ce à quoi ils tiennent le plus, ils doivent céder ce à quoi ils tiennent le moins. Le prix de ce que nous voulons avoir est ce que nous acceptons de ne plus avoir. Et, puisque la sécurité n’a, dit-on, pas de prix, il n’y a rien de plus cher et la contrepartie ne supporte, donc, pas de transaction. S’il faut tout donner, tout sera concédé.
La peur du Coronavirus, complète et renforce celle du terrorisme
La théorie hobbesienne du contrat social trouve sa racine dans la peur. Les individus confient tous les pouvoirs et cèdent toutes leurs libertés au Léviathan, parce qu’ils ont peur pour leurs vies dans un monde où ‘’All are in war against all’’ et où ‘’homo homini lupus’’[1].
Au début du siècle, apparaissait le danger du terrorisme international avec les attentas du 11 septembre. Comme pour le virus, l’ennemi est invisible et pernicieux. Il guette à tous les coins de rue, et seul l’Etat peut le combattre à condition que les individus lui lâchent la main sur les contraintes que lui imposent les droits, les libertés et autres revendications de ce genre. Sont, alors, conçues, votées et adoptées dans tous les pays du monde – mêmes ceux se proclamant de la plus stricte des démocraties- des lois qualifiées de liberticides, mais acceptées, tolérées et admises par tous. Du Patriot act américain à la loi française sur le renseignement, en passant par le ‘’Prevention of Terrorism Act’’ britannique, les libertés se rétrécissent au profit des investigations policières presque sous les applaudissements de tous.
La peur que suscite, aujourd’hui, le Covid-19, vient renforcer celle provoquée, depuis le début du siècle, par le terrorisme et, par conséquent, faire accepter par tous des mesures plus restrictives envers les libertés individuelles.
Ne pas voyager, ne pas sortir de chez soi, porter un masque, travailler à distance, s’abstenir de s’exprimer pour ne pas encourager les fake-news, télécharger des applications qui enregistrent vos mouvements et déplacement ou demander l’autorisation de circuler deviennent des mesures que le plus convaincu des démocrates accepte de cœur joie. Le Big-Brother, jadis craint, honnis et stigmatisé est aujourd’hui le bienvenu.
Etats forts, une nouvelle tendance ou une conjoncture passagère ?
Redemanderons-nous nos libertés lorsque le danger sera écarté ? Si oui, est-ce que les Etats consentiront à nous les rendre ? Tout dépend de la relation que la crise aura tissé entre les gouvernants et les gouvernés.
L’Etat a entamé le rétablissement de son pouvoir partout dans le monde, en arguant de la menace terroriste. Aujourd’hui, ses initiatives, aussi contraignantes-soient-elles, sont acceptées, voire même accueillies avec joie, face à la menace du Covid-19. Ce renforcement du rôle de l’Etat, et aussi de son autorité, constitue-t-il un fait éphémère ou un tournant révélateur d’un nouveau paradigme de gouvernance ? la réponse est d’autant plus difficile que les deux options sont soutenables, et que les pays répondront de manières différentes dont, au moins, deux essentielles :
- - Dans certains pays, les Etats tenteront de conserver l’avantage en capitalisant sur la nouvelle relation comme un chemin d’entente trouvé entre eux et leurs citoyens. Ils chercheront ce qui dans leurs actions, en temps de crise, a le plus attiré l’adhésion de leurs populations et le développeront pour pérenniser l’entente et le compromis. Dans ces Etats, les gouvernants transformeront l’expérience acquise dans l’épreuve en moteur de démocratie et de paix sociale. Les citoyens comprendront, également, que l’Etat est une structure de salut social, indispensable pour gérer les crises, mais aussi pour conduire vers l’essor en temps de paix. Le retour des Etats dans ces pays se prolongera après le Coronavirus. L’Etat restera fort mais sage et conciliant.
- - D’autres gouvernants chercheront à détourner l’avantage acquis en temps de crise pour assoir un rapport de force en leur faveur sans souci aucun pour le bien de leurs peuples. Ils tenteront de maintenir ces peuples dans leur état de vulnérabilité et la légitimité d’agir contre le virus sera détournée pour agir contre le peuple. Ce dernier découvrira, à plus ou moins brève échéance, qu’il a été trahi et tentera de retrouver ses libertés. Les pays qui se trouveront dans ce cas, risquent d’affronter des situations de tensions graves dans la période post-Corona. De nouveaux printemps de révoltes risquent d’éclater.
Le Coronavirus ne sera liberticide ou générateur d’un meilleur paradigme de gouvernance qu’en fonction de l’usage que les Etats feront du chèque, signé à blanc, qui leur a été remis durant la gestion de la pandémie.
[1] Pour Hobbes ; dans l’Etat naturel de l’humanité, tous sont en Guerre contre tous et l’homme est un loup pour l’homme.